Considéré comme l’un des trois grands historiens du Perche avec Henri Tournoüer et le comte Olivier de Romanet, Hector comte de Souancé (1861-1942) embrasse d’abord une carrière militaire. Diplômé de l’école de Saint-Cyr, il devient un brillant officier de cavalerie, en garnison à Angers, puis Lunéville, Chartres et enfin Alençon où il termine sa carrière militaire au 14e hussard en qualité d’officier d’ordonnance de deux généraux.
Il rentre dans la vie civile en 1904, âgé seulement de 43 ans, et se consacre alors aux recherches historiques et archivistiques sur le Perche et à sa fonction de maire de Souancé-au-Perche de 1921 à son décès. En bon érudit, il publie les résultats de ses recherches dans les bulletins de sociétés savantes et dans la collection « Documents sur l’ancienne province du Perche ». Notices généalogiques sur des grandes familles percheronnes, monographies sur de nombreux édifices (manoirs, églises, abbayes, etc.), transcriptions des cartulaires de Saint-Denis1 et des Clairets2 sont autant de travaux incontournables pour la connaissance de l’histoire du Perche. Il entreprend également la rédaction d’un dictionnaire topographique du Perche où il regroupe, commune par commune, toutes données historiques et patrimoniales complétées par d’importantes recherches en archives. Cet ouvrage colossal totalisant près de 7 000 feuillets n’a malheureusement jamais été publié. Les archives d’Hector de Souancé sont conservées au château de Mondoucet dans la commune de Souancé-au-Perche qui fait l’objet en 2023 d’un inventaire de son patrimoine architectural.
Descendant de Pierre-Claude Guillier (1715-1782) qui acquiert la terre et seigneurie de Souancé et de Montdoucet en 1754, Hector se passionne très tôt pour le château de Montdoucet, la demeure familiale. Décortiquant les titres de propriétés et autres plans terriers que ses aïeuls ont fait dresser, il en publie une monographie dès 18953.
Il se forme au dessin d’architecture et s’équipe de matériel de topographie pour dresser des relevés. Hector livre ainsi une série de plans de restitution, très pédagogiques, permettant d’appréhender Montdoucet à diverses époques4.
Le site de Montdoucet, placé en position dominante en hauteur de plateau à un kilomètre et demi au nord-est du bourg de Souancé, est occupé depuis le XIe siècle, période à laquelle le siège de la seigneurie de Souancé s’y déplace, abandonnant un probable château fort situé au-dessus de l’église paroissiale Saint-Georges. Bien lisible sur les plans anciens (ainsi que sur ceux d’Hector), la structure initiale du logis seigneurial semble s’apparenter à celle d’un manoir du XVIe siècle : édifice à trois niveaux d’élévation (étage de soubassement, rez-de-chaussée surélevé et étage carré) comprenant deux grandes pièces par niveau, accessibles par un escalier en vis contenu dans une tour hexagonale hors-œuvre flanquée contre la façade postérieure. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce logis est remanié et augmenté de plusieurs corps de bâtiment au nord, à l’est et à l’ouest, englobant l’édifice et faisant disparaître la structure ancienne, ainsi que d’une aile en retour d’équerre au sud-est servant de logement au jardinier. À la veille de la Révolution, la propriété comprend le logis seigneurial, une chapelle dédiée à saint Nicolas5 et placée directement au sud du logis, un vaste bâtiment servant de communs (écuries, remises) plus au sud, un parc et un jardin à la française ainsi que la ferme du château au sud-est. Henri Guillier comte de Souancé (1826-1903), père d’Hector, marque également de son empreinte le château par divers réaménagements intérieurs et surtout par la reconstruction de la partie orientale du logis, individualisée par le traitement en pavillon.
Henri fait détruire l’aile sud-est du logis ainsi que la chapelle dont il fait remployer la façade occidentale dans le pignon ouest d’une nouvelle construction un peu plus éloignée servant de chapelle, de fournil et de logement de gardien à l’étage. Il crée ainsi une véritable basse-cour au sud-est du logis, composée de ce nouveau bâtiment, des écuries préexistantes et de trois nouvelles constructions (grange, étable et toit à porcs). Les jardins et le parc à la française sont supprimés au profit d’un jardin à l’anglaise.
Au décès d’Henri, survenu en 1903, Hector prend le titre de comte de Souancé et hérite de Montdoucet. Son mariage en 1886 avec la riche héritière Magdeleine le Motheux lui apporte les subsides nécessaires au développement du domaine, par l’achat de fermes et de terres, et au parachèvement des travaux de modernisation du château entrepris par son père. Très précieux car fourmillant de détails, il ouvre un journal le 1er janvier 1904 qu’il intitule Journal de Montdoucet6 où il relate des faits principaux et intéressants relatifs au château. Dès février 1904, Hector reçoit Alfred Coulomb (1838-1929), architecte parisien associé à Louis Chauvet (1858-1916), pour arrêter les grandes lignes de la restauration du château. L’objectif est de reconstruire l’édifice en conservant la partie orientale que son père avait fait édifier, tout en s’inspirant de son style néo-classique.
En juillet de la même année, l’architecte paysagiste Lebreton est reçu en vue de l’aménagement extérieur du parc et des abords du château, ainsi que du projet de nouvelle allée. En octobre, le sable nécessaire à la construction est acheminé et une carrière de calcaire est ouverte sur la propriété en novembre pour extraire la pierre à construire (moellons et pierre de taille). En janvier 1905, les plans de la restauration sont définitivement arrêtés et les travaux adjugés en mars aux divers entrepreneurs (Louis Maury, maître maçon à Nogent-le-Rotrou, mais les noms des charpentiers, couvreurs et peintres ne sont pas précisés) pour la construction du pavillon neuf et du pavillon central qui débute dans la foulée. Hector précise dans son journal, un peu déçu, « qu’aucune découverte intéressante n’a été faite dans le sous-sol » lors des fouilles.
Le gros-œuvre s’achève durant l’été 1906 laissant les pièces prêtes à peindre. En fin d’année 1907, les travaux intérieurs et extérieurs sont quasiment terminés. Seuls les aménagements paysagers se poursuivent les années suivantes. En 1913, Charles Revéron, architecte paysagiste parisien, dresse le plan des jardins achevés.
Égrener toutes les réalisations d’Hector de Souancé serait bien trop long pour ce court article. Notons juste pour finir son action de maire, dont il relate les principaux faits dans la seconde partie du Journal de Montdoucet, durant l’entre-deux-guerres et sous l’occupation allemande, faisant ainsi entrer « la petite histoire dans la grande ». Ses descendants s’emploient activement à perpétuer la mémoire de cet historien trop méconnu et pourtant essentiel pour appréhender le patrimoine percheron.
Florent Maillard, chargé de mission « Inventaire du patrimoine bâti » au Parc naturel régional du Perche
1 Prieuré clunisien sis à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir)
2 Abbaye royale de moniales cisterciennes sis à Mâle (Orne) près de Nogent-le-Rotrou
3 GUILLIER DE SOUANCÉ, Hector. Notes sur Souancé et Montdoucet (1080-1793). Chartres : imprimerie Garnier, 1895, 46 p.
4 Vers 1550, 1750 ; en 1800, 1884, 1896, 1904 ; vers 1910.
5 Attestée dès le XVe siècle, elle porte la date de 1737, correspondant probablement à un remaniement.
6 Archives privées Hector de Souancé – journal qu’il tient jusqu’à son décès en 1942.