Peintres-verriers et cartonniers : les exemples d’Eugène Oudinot et Félix Gaudin en Touraine

Publiée le 30 novembre 2018

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L’identification d’un vitrail datant du XIXe siècle est en général relativement aisée, grâce à la présence de signatures bien mises en évidence, parfois doublées de marques d’ateliers à vocation plus commerciale. Mais il est une activité rarement signalée, et pourtant essentielle dans le processus de création : celle du cartonnier. Artiste chevronné, dont les talents de peintre ou de décorateur peuvent être reconnus par ailleurs, le cartonnier est l’auteur du modèle (le carton) qui, une fois réalisé à grandeur d’exécution, servira à la fabrication effective du vitrail. En Touraine, ces problématiques peuvent être abordées à travers l’activité du peintre-verrier Eugène Oudinot, et celle de son successeur Félix Gaudin.

Cliquer pour agrandir. Fig.1 : Montrésor, collégiale Saint-Jean-Baptiste, verrière figurée : saint Jean, saint Pierre et saint Jean-Baptiste (baie 101) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général / © Rencontre avec le Patrimoine Religieux, Guillaume Cottinat

 

Natif d’Alençon en 1827, Eugène-Stanislas Oudinot de La Faverie se forme à l’art du vitrail auprès de Georges Bontemps à la Manufacture de Choisy-le-Roi, et suit les cours de peinture d’Eugène Delacroix. Il ouvre son propre atelier en 1854. Parmi ses collaborateurs figurent le célèbre Eugène Viollet-le-Duc ou encore Louis Steinheil. Oudinot semble intervenir une première fois en Touraine à la collégiale de Montrésor, en 1875, pour la restauration de la grande baie de la façade ouest (fig. 1), recomposée par l’architecte Félix Roguet, alors engagé dans la restauration du château de Chenonceau.

Cliquer pour agrandir. Fig.2 : Preuilly-sur-Claise, église Saint-Pierre, verrière figurée : miracle de saint Melaine (baie 7) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général / © Rencontre avec le Patrimoine Religieux, Isabelle de Saint-Seine

À la même époque commençait, au sud du département, la restauration de l’ancienne abbatiale de Preuilly-sur-Claise, partiellement ruinée en 1867 par l’effondrement de son clocher. Cette restauration fut confiée à l’architecte Anatole de Baudot, qui fit appel à Eugène Oudinot pour la réalisation de nouveaux vitraux. De ce programme initial sont conservées plusieurs verrières, dont celle de la chapelle nord (baie 7), consacrée à saint Melaine de Rennes, qui porte le monogramme du peintre-verrier (« E » et « O » entrelacés) (fig. 2). Sa mort, survenue en 1889, l’empêche d’achever ce programme, tâche qui échoie alors à son successeur, Félix Gaudin. D’abord actif à Clermont-Ferrand, puis à Paris à partir de 1890, Gaudin travaille à Preuilly-sur-Claise au moins jusqu’en 1904 (date relevée sur la baie 4, dans le déambulatoire) (fig. 3). Il travaille d’après les cartons déjà réalisés pour Oudinot par Émile-Joseph Delalande, un élève de Gérente et de Didron spécialisé dans les styles médiévaux, qui deviendra rapidement un collaborateur régulier de Félix Gaudin.

Cliquer pour agrandir. Fig.3 : Preuilly-sur-Claise, église Saint-Pierre, verrière figurée : Passion du Christ (baie 4) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général / © Rencontre avec le Patrimoine Religieux, Isabelle de Saint-Seine

Entretemps, Anatole de Baudot est sollicité à Saint-Flovier pour la construction de la nouvelle église paroissiale (1883-1888). Il s’adresse une nouvelle fois à Eugène Oudinot pour la création des premiers vitraux, lequel s’adjoint les services du grand peintre symboliste Luc-Olivier Merson pour la réalisation des cartons. Fait rare, à Saint-Flovier les verrières représentant sainte Julitte et saint Flovier (fig. 4-5) portent le nom d’Oudinot associé au monogramme de son cartonnier (« L.O.M. »), ce qui peut s’expliquer par la grande renommée dont ce dernier jouissait alors.

Après la mort d’Eugène Oudinot, nous retrouvons à Candes-Saint-Martin l’équipe chargée d’achever les vitraux de Preuilly, à savoir le verrier Félix Gaudin et le peintre Émile Delalande. Ils laissent dans la collégiale trois vitraux pour les lancettes du chœur : une Vie du Christ entourée de deux verrières consacrées à la Vie et aux Miracles de saint Martin, ensemble daté de 1900 (fig. 6). Comme à Preuilly, cette collaboration n’est pas documentée par les verrières elles-mêmes, mais par les archives de l’atelier Gaudin, qui conservent les cartons préparatoires signés par É. Delalande.

Cliquer pour agrandir. Fig.6 : Candes-Saint-Martin, collégiale Saint-Martin, verrière figurée : Vie de saint Martin (baie 1) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général / © Rencontre avec le Patrimoine Religieux, Olivier Geneste

Une dernière intervention de Félix Gaudin en Touraine, mal documentée mais signalée dans l’un de ses catalogues commerciaux de 1907, concerne les vitraux de l’église de Huismes, entre Ussé et Chinon. L’on y observe deux ensembles distincts. Le premier, dans le chœur (baies 0 à 6), est le fruit d’une nouvelle collaboration avec É. Delalande, qui obéit à son style néo médiéval habituel. Pour la Résurrection du Christ (baie 6) (fig. 7), Gaudin réemploie d’ailleurs – selon une pratique courante – le carton de Delalande pour une verrière installée en 1895 à la collégiale Saint-Martin de Brive-la-Gaillarde (Corrèze). Le second ensemble, concernant les verrières de la façade sud de la nef, présente différentes figures de saintes traitées dans le style Art nouveau caractéristique des années 1900 (fig. 8). La richesse de l’ornementation et de la palette (bordures, vêtements, paysages…), permet d’imaginer une intervention simultanée de plusieurs cartonniers réguliers de Félix Gaudin, les uns plutôt spécialisés dans les compositions ornementales, tels que Maurice Pillard-Verneuil ou Juliette Milesi, les autres dans la figuration, comme Victor Tardieu ou encore Raphaël Freida. On notera d’ailleurs la proximité graphique et stylistique des vitraux de Huismes avec certaines verrières de Félix Gaudin pour l’église Saint-Honoré-d’Eylau (Paris, 16e arr., 1899-1915), en particulier celles réalisées d’après les cartons de Raphaël Freida (saint Charles, saint Ignace, saint François…).

En succédant à Eugène Oudinot, Félix Gaudin « hérite » de son réseau, de ses chantiers et de ses collaborateurs. Les quelques verrières successivement réalisées en Touraine par ces deux artistes montrent comment il est parfois possible, par la recherche documentaire et l’analyse stylistique, d’attribuer ces œuvres à ceux qui les ont originellement dessinées, peintres ou décorateurs de grand talent souvent condamnés à un injuste anonymat.

Olivier GENESTE, chercheur au Centre François-Garnier, Association Rencontre avec le Patrimoine religieux

Bibliographie :
– Cabezas, Hervé, « La signature des vitraux français du XIXe siècle », Revue d’Archéologie moderne et d’archéologie générale, n° 7, p. 77.
– Girault, Marcel, « Émile Delalande », In Jules Laurand, notable blésois, peintre-verrier, Rencontre avec le Patrimoine religieux, 2008, p. 167-171.
– Lainé, Martine, Bléré en vallée du Cher, Chenonceau et ses environs, coll. « Images du patrimoine » n° 300, Lyon, Lieux-Dits, 2017, p. 95.
– Luneau, Jean-François, Félix Gaudin, peintre-verrier et mosaïste (1851-1930), Clermont-Ferrand, Presses de l’Université Blaise-Pascal, 2006, p. 355-358 et 375-383.
– Ribemont, Francis (dir.), L’étrange Monsieur Merson, catalogue de l’exposition présentée au Musée des Beaux-arts de Rennes, Lyon, Lieux-Dits, 2008, p. 172-181.

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