Saint Martin guérissant les malades par Henry Lefebvre, peintre et frère récollet, ou la lente attribution d’une peinture datée et signée

Publiée le 8 avril 2021

Recherche Nouvelles de la recherche Professionnel du patrimoine Étudiant‐Chercheur Indre-et-Loire (37) Époque moderne

La datation et l’identification de l’auteur des œuvres étudiées, qu’elles soient architecturales ou mobilières, font partie des missions du chercheur de l’inventaire.  La découverte d’une date et/ou d’une signature est donc toujours un motif de satisfaction. Mais cette découverte amène souvent d’autres questions sur l’auteur qui peuvent rester sans réponses ou parfois mettent très longtemps avant d’être élucidées.

Cliquer pour agrandir. Tableau « Saint Martin guérissant les malades », église de Villedômer (Indre-et-Loire) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo
Le tableau de « Saint Martin guérissant les malades » de Villedômer

La commune de Villedômer (37) a été étudiée en 2012-2013 dans le cadre de l’inventaire de la vallée de la Brenne réalisé par le Pays Loire Touraine en partenariat avec la Région Centre-Val de Loire. A cette occasion l’ensemble du patrimoine architectural et mobilier de l’église paroissiale Saint-Vincent-et-Saint-Gilles a été pris en compte. Une huile sur toile, dont le cadre en bois est constitué de planches clouant le support directement sur le mur ouest de la sacristie, possède une forme presque carrée (250 cm x 220 cm environ). Mentionnée dans le chœur derrière le maître-autel en 1860, cette toile a ensuite été installée en 1868 dans la nef avant de rejoindre son emplacement actuel à une date inconnue.

Au centre, un évêque, portant mitre et tenant crosse, guérit un malade. A l’arrière-plan à gauche, se trouvent cinq personnages dont un s’appuyant sur des béquilles. Au premier plan, sont représentés trois femmes et un enfant. A l’arrière-plan à droite, deux hommes, dont le traitement des visages est plus soigné que celui des autres personnages, pourraient figurer les commanditaires du tableau.

L’inscription « S. Martine ora pro nobis » (« Saint Martin priez pour nous »), dans l’angle supérieur gauche, nous renseigne sur le saint évêque représenté. Cette information est complétée par un document de 1860 mentionnant que « le tableau du maître-autel représentant saint Martin guérissant les malades [est] en assez bon état matériel1 ».

Cliquer pour agrandir. Détail des commanditaires présumés du tableau « Saint Martin guérissant les malades » , église de Villedômer (Indre-et-Loire) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo

L’identification de l’auteur : un moine et peintre « breton »…

Une seconde inscription, présente sur deux lignes dans l’angle inférieur droit, est partiellement cachée par le cadre : « F . Henry . Lefeb[?] » « Recollect . fecit . 172[?] ». Elle nous indique que l’œuvre a été réalisée dans les années 1720 par un peintre s’appelant Henry Lefebvre ou Lefebure.

 

Cliquer pour agrandir. Détail de l’inscription avec signature et date sur le tableau « Saint Martin guérissant les malades » , église de Villedômer (Indre-et-Loire) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo

La consultation du Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs d’Emmanuel Bénézit, nous apprend l’existence d’un dénommé Henry Le Febvre, graveur et peintre à Nantes (Loire-Atlantique), entre 1727 et 1737. Si cela correspond chronologiquement, il est difficile d’aller plus loin dans l’attribution.
Dans son étude sur la peinture religieuse en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Maud Hamoury2 évoque un dénommé Henry Le Febvre, frère récollet3 et peintre, actif à Fougères (Ille-et-Vilaine) en 1729. Cette année-là, la fabrique de la paroisse de Louvigné-du-Désert (Ille-et-Vilaine) verse 12 livres aux Pères Récollets de Fougères « tant pour les couleurs que le travail du frère henry qui a raccomodé le tableau du grand hostel4 ». La même année, ce frère réalise une Présentation de Jésus au Temple, copie d’après Rubens, pour le retable de la chapelle de son couvent. Ce tableau est conservé depuis 1792 dans l’église de Javené (Ille-et-Vilaine) et classé Monuments historiques depuis le 21 février 1951.

La formule utilisée sur ce tableau « F. henry Le febvre recollet 1729 » est très proche de celle présente sur celui de Villedômer. Une observation plus attentive révèle également des similitudes concernant la forme des lettres et la couleur jaune utilisée pour l’inscription. Autant d’éléments qui laissent à penser que ce moine est bien l’auteur du tableau de Villedômer. Mais, dans ce cas, pourquoi faire appel à un peintre breton pour réaliser le tableau d’une église de Touraine ?

… ou un tourangeau installé en Bretagne
De nouvelles informations concernant ce peintre ont été découvertes récemment, en janvier 2021, dans l’église de Saunay à l’occasion de notre étude en cours sur les édifices religieux du Pays Loire Touraine. En 1725, le curé de la paroisse écrit dans le registre des baptêmes, mariages et sépultures de la période 1712-1730 : « le vint troisième de mars on a apporté le tableau de St Huber, il a été fait a chaurgt par le frère henri recolet, son nom de famille est Le Fevre, il a couté quarente livres que les confreres et moy ont donné5 ». Si ce tableau de saint Hubert a malheureusement disparu de l’église de Saunay, il est intéressant de noter ici l’intervention d’un peintre récollet ayant le même patronyme. Nous formulons ici l’hypothèse que le mot « chaurgt », incompréhensible mais pourtant parfaitement lisible, pourrait être « ch[ate]aur[e]g[naul]t » dans une forme contractée en raison d’un manque de place puisque ce dernier est placé en fin de ligne. Cette supposition semble tout à fait plausible lorsque l’on sait que cette ville, située à proximité de Villedômer (6 km) et de Saunay (5 km), possédait à cette époque un couvent de récollets6 !
Le tableau de Villedômer proviendrait-il de ce couvent ? Nous n’avons pas d’élément à ce sujet. La plus ancienne mention de sa présence dans l’église date de 1860 époque où il est dans le chœur. En 1731, lors de sa visite pastorale, l’archevêque de Tours indique la nécessité de faire « raccomoder le tableau du grand autel qui est percé en plusieurs endroits7 ». Il est surprenant qu’un tableau peint dans les années 1720 ait besoin d’être réparé en 1731 : un accident serait-il survenu entre ces dates ou bien s’agissait-il à l’époque d’un autre tableau, le sujet représenté n’étant pas explicitement mentionné ? Dans cette hypothèse, le tableau aurait pu rejoindre l’église après la fermeture du couvent des Récollets et sa vente comme bien national en 1791, mais rien ne permet de le prouver.
Cependant, il semble désormais acquis que ce frère récollet a débuté sa carrière de peintre en Touraine, alors qu’il était à Château-Renault, avant de la poursuivre en Bretagne, après son arrivée à Fougères. Difficile d’en dire plus pour l’instant mais une restauration du tableau de Villedômer permettrait de découvrir entièrement l’inscription et de le placer chronologiquement par rapport au Saint Hubert de Saunay (1725) et à La Présentation de Jésus au Temple de Fougères (1729). Espérons que la découverte d’autres archives ou d’autres œuvres signées par ce frère récollet, en Touraine ou en Bretagne, permettront un jour de mieux le connaître.

Cliquer pour agrandir. Tableau « La Présentation de Jésus au Temple », église de Javené (Ille-et-Vilaine) © Ministère de la Culture, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Genovesio (restaurateur).

Arnaud PAUCTON, chargé d’études inventaire du Patrimoine au Pays Loire Touraine et chercheur associé au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire.

(1) Archives paroissiales de Villedômer. Procès-verbal de visite diocésaine du 14 mai 1860.
(2) HAMOURY, Maud. La peinture religieuse en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2010, 614 pages.
(3) Ordre monastique issu d’une réforme de l’ordre franciscain.
(4) HAMOURY, Maud. La peinture religieuse en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles. p 513.
(5) Consultable en ligne sur le site des Archives départementales d’Indre-et-Loire. 6NUM7/240/011.
(6) Créé en 1618, il fonctionne jusqu’à la Révolution époque où il est vendu comme Bien National en janvier 1791. Les bâtiments sont détruits en 1865 lors de la construction de la ligne de chemin de fer.
(7) Archives paroissiales de Villedômer. Registre des délibérations de la fabrique de la paroisse de Saint Vincent de Villedômer. Procès-verbal de la visite du 4 juin 1731.

Restez connecté

L’actualité de l’inventaire est dans notre Lettre d’informations