Le monument aux morts de Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire)

Publiée le 13 mai 2020

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Dans le cadre d’un partenariat entre le Pays Loire Touraine, regroupant 55 communes du nord-est de l’Indre-et-Loire, et le service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire, un inventaire général du patrimoine culturel a été réalisé sur les 9 communes de la vallée de la Brenne (37)1. Le monument aux morts de la commune de Vernou-sur-Brenne est l’un des édicules étudiés.

Le projet d’édification du monument aux morts

Entre 1919 et 1925, la France se couvre de plus de 30 000 monuments commémoratifs érigés en l’honneur des morts de la Première Guerre mondiale. À Vernou, le conseil municipal décide, en 1920, d’utiliser l’emplacement de l’ancien cimetière pour l’édification du monument aux morts pour la France et choisit Marcel Loyau, sculpteur à Tours, pour réaliser le monument. Le projet proposé par le sculpteur est approuvé le 14 février 1921, pour un montant de 23 000 francs. Un projet de dallage est accepté par la municipalité en août 1922 et le monument est achevé la même année.

Vue d’ensemble du monument aux morts de Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire), depuis le nord-est, en 2010 © Pays Loire Touraine, Arnaud Paucton
Le sculpteur Marcel Loyau (1895-1936)

Natif d’Onzain, Marcel Loyau passe une partie de son enfance à Vernou. Devenu sculpteur, il acquiert rapidement une certaine renommée. Il est notamment l’auteur des sculptures du Mémorial de la Somme à Bony, de l’Allégorie de la Victoire du monument aux morts de la Bourse du Commerce de Paris, en 1923, de la Fontaine des Cygnes pour le pavillon de l’exposition des Arts Décoratifs, en 1925 et des chevaux marins de la Fontaine Clarence Buckingham à Chicago, en 1927. La même année, il obtient le Prix national des Beaux-Arts. En Indre-et-Loire, outre le monument aux morts de Vernou, il réalise également celui de Saint-Avertin en 1921 et propose un projet (non réalisé) à la commune de Reugny en 1920. Décédé en 1936, à Boulogne-Billancourt où il réside avec son épouse Jeanne Morance, artiste peintre, et où il a fondé une Société des Beaux-Arts en 1934, il est enterré dans le cimetière de Vernou.

Monument aux morts de Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire). Détail de la signature de Marcel Loyau présente sur un cartouche en bronze © Pays Loire Touraine, Arnaud Paucton
Un monument original

Le monument se compose d’un obélisque placé au centre d’un dallage, tous les deux en pierre. Aux angles de ce dallage se trouvent quatre emplacements circulaires qui, à l’origine, accueillaient des couronnes de mosaïques (disparues) figurant des feuilles de lierre, de chêne, de laurier et de palme symbolisant la Force, la Victoire et la Reconnaissance. L’obélisque porte sur ses faces quatre bas-reliefs représentant quatre corps d’armée (l’Infanterie, l’Artillerie, le Génie et l’Aviation) et trois cartouches en bronze représentant des soldats. La présence de poilus est fréquente sur les monuments aux morts, toutefois la représentation de scènes de combats est rare et celle d’un avion reste exceptionnelle.

Monument aux morts de Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire). Projet (non réalisé) de monument aux morts pour la commune de Reugny, Marcel Loyau, 1920 (Archives départementales d’Indre-et-Loire, E dépôt 194 M4) © Pays Loire Touraine, Arnaud Paucton

Une opposition entre la municipalité et le sculpteur

En 1927, la commune modifie le monument sans l’autorisation du sculpteur et ce dernier proteste alors auprès du conseil municipal et de la Préfecture.

Le 11 mars, Marcel Loyau écrit au Maire de Vernou : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance et à celle de messieurs les Conseillers Municipaux, l’objet d’une constatation que j’ai faite sur le monument aux morts de Vernou, dimanche, 6 mars dernier. Je veux parler d’une modification apportée au dit monument, dont je suis l’auteur, et qui consiste, comme vous le savez, en la pose de quatre bornes de pierre reliées par trois chaînes de fer, dont l’entreprise revient à Monsieur L. David à Tours qui a signé le monument comme s’il en était l’auteur. J’ai le regret très vif de vous exprimer ma stupéfaction devant cet état de fait, qui m’a littéralement confondu. Pensant que vous n’ignorez pas qu’une œuvre d’art et surtout un monument public, quel qu’il soit, n’est en aucune façon modifiable pas même destructible par son auteur, à plus forte raison par une main étrangère. Malheureusement ce qualificatif est propre ici en citant le nom du donateur à qui revient la généreuse initiative : Monsieur Atanassiédès, de nationalité ou d’origine grecque. Je ne doute pas, Monsieur le Maire, de la louable intention qu’a eue ce Monsieur et de la bonne foi que vous lui avez porté, mais je suis très surpris de n’en avoir pas été averti et d’autant plus que des embellissements et des éléments de décoration ont été étudiés pour ajouter au caractère de cette œuvre, et, que averti en temps voulu le Ministre des Beaux-Arts, aurait certainement accepté un complément d’architecture ou décoration, si je lui avais présenté un projet. Monsieur le Maire, je veux saisir l’occasion de vous écrire pour vous expliquer les causes qui motivent la composition de mon œuvre et vous comprendrez alors, que ce que vous avez toléré d’y ajouter est un barbarisme esthétique. Sur l’obélisque symbole antique, j’ai écrit en quatre bas-reliefs exprimant l’Infanterie, l’Artillerie, le Génie et l’Aviation. Le dallage, sorte de place sacrée dont l’appareillage des pierres fait une couronne et une croix, symbole du sacrifice, sur lequel, à son centre s’élève l’obélisque.

A ses angles, quatre couronnes de mosaïques, composées de lierre, chêne, lauriers, palmes, quatre symboles de la Force, de la Victoire et de la Reconnaissance. Si le prix de mon entreprise me l’eût permis, j’aurais voulu inscrire en mosaïques dans ces couronnes faites pour le contenir, les grands noms historiques des principales batailles où nos Chers Camarades sont morts. C’est là, même, à l’emplacement de ces noms sacrés, que l’on est venu poser les bornes en question. Si je ne croyais, Monsieur le Maire, à votre excellente bonne foi et à vos saines idées, je serais tenté de croire que ce geste d’un étranger, sur notre Monument aux Morts, n’est que la contestation sacrilège de nos Victoires, mais je ne doute pas un instant qu’il en soit bien autrement et comme je viens vous prier d’enlever les bornes qui ont été posées, je viens aussi me mettre à votre disposition pour l’utilisation de ces bornes et de leurs chaînes, afin que le donateur où les héritiers « de Goyon  » ne croient pas à une insulte à leur généreuse intention et pour que tout se fasse le plus convenablement possible, entre nous. Je vous prie, Monsieur le Maire, de faire le nécessaire afin que la remise du Monument dans son état original soit faite dans le plus bref délai, c’est-à-dire avant le 1er mai 1927. ».
M. Richard, Maire, lui répond le 16 avril dans une lettre où il écrit laconiquement : « Le conseil municipal dans la séance du 14 avril courant a décidé de maintenir les quatre bornes reliées par des chaînes, qui ont été posées sur le Monument aux Morts de Vernou. Je n’ai rien à ajouter à cette décision qui a été votée par 11 voix sur 13 votants. ».

Le 27 novembre, Marcel Loyau écrit au Préfet : « Au début de ce mois-ci et de retour des Etats-Unis, j’étais allé à Tours dans le but de vous demander une audience. J’ai été reçu par Monsieur le Chef de votre Cabinet, qui, après que je lui eus exposé l’objet de ma visite, m’a conseillé de vous écrire. C’est pour cette raison, que j’ai l’honneur, Monsieur le Préfet, de vous demander de vouloir bien considérer avec votre intérêt l’objet de ma requête. En 1922, j’ai exécuté le Monument aux Morts de Vernou-sur-Brenne. Enfant de cette commune, parti à la fin de 1914 dans l’infanterie puis revenu après cinq années de guerre tant en France que sur le front russe j’avais à cœur que cette œuvre fût un hommage pieux digne de mes camarades de combat et de leurs familles. Après bien des difficultés, je pus apporter au Monument, un cadre harmonieux par des travaux de terrassements et de plantations et un projet d’embellissement. Au début de cette année, le Maire actuel de Vernou-sur-Brenne, Monsieur Richard, que je connais et estime, laissa modifier mon œuvre par l’apport de quatre bornes avec chaînes, posées sur le dallage que j’avais composé pour qu’il restât absolument nu et juste au centre de batailles  devaient être gravés, mutilant ainsi et détruisant le caractère de mon œuvre. […] Un statut de la Propriété Artistique est en voie d’achèvement au Ministère des Beaux-Arts, des règlements existent sur les détériorations et modifications des œuvres d’Art publiques, sur le préjudice moral et artistique causé à leurs auteurs. A cet égard, je ne veux rien demander à la Municipalité de Vernou en dommages et intérêts, pour sa louable intention et par respect pour la raison d’être du Monument, mais je ne puis  laisser indéfiniment subsister cet état de choses et c’est pour cela, Monsieur le Préfet, que je viens solliciter votre bienveillante intervention auprès de la Municipalité de Vernou-sur-Brenne, pour qu’elle fasse enlever cette année même les bornes en question. Je me mettrais volontiers à sa disposition pour leur donner dans l’entourage de mon œuvre la place qui leur conviendra le mieux. A la veille de mon départ aux Etats-Unis, en juillet dernier, j’en avais saisi la direction des Beaux-Arts et l’Avocat général du Syndicat de la Propriété Artistique. Les deux services, officiel et privé, m’ont conseillé d’exposer cette situation à la Préfecture d’Indre-et-Loire dans l’espoir que vos suggestions, Monsieur le Préfet, seront entendues et qu’elles éviteront un pénible conflit sur un Monument aux Morts. ».

Après plusieurs mois de protestation, Marcel Loyau obtient la remise en état originel du monument.
En 2017, le site a été réaménagé (ajout de gravier et d’un drapeau) et le monument nettoyé, en vue des commémorations du centenaire de l’Armistice.

Arnaud Paucton, chargé d’études inventaire du Patrimoine au Pays Loire Touraine et chercheur associé au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire.

Monument aux morts de Vernou-sur-Brenne (Indre-et-Loire) Détail d’un cartouche en bronze.© Pays Loire Touraine, Arnaud Paucton

Pour en savoir plus sur le patrimoine des communes de la vallée de la Brenne :
– PAUCTON, Arnaud, CANTALUPO, Thierry (photogr.), GUÉRID, Myriam (cart.). La Vallée de la Brenne, de Château-Renault à la Loire. Lyon : Lieux-dits, 2018. (Images du Patrimoine, n°304).
– Les dossiers d’inventaire sont disponibles sur le portail de diffusion du service Patrimoine et Inventaire.

(1) Auzouer-en-Touraine, Chançay, Château-Renault, Le Boulay, Neuillé-le-Lierre, Neuville-sur-Brenne, Reugny, Vernou-sur-Brenne et Villedômer.
(2) S’agit-il d’une allusion à Jacques de Goyon de Matignon (1689-1751), protecteur et mécène du peintre Van Loo et du musicien Couperin ?

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