De l’usage du portrait dans le vitrail : entre dévotion et mémoire, quelques exemples en Indre-et-Loire

Publiée le 18 décembre 2020

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La présence de portraits sur les verrières, dans leurs bordures ou intégrés à leur scène principale, est un phénomène connu de longue date. Il est en effet lié à une double démarche. Votive, elle matérialise le don d’un individu ou d’un groupe (famille, corporation) par une représentation explicite du ou des commanditaires, associée à celle d’un saint ou d’une scène religieuse, mettant ainsi en lumière une dévotion particulière de cette entité individuelle ou collective. Sans être contradictoire avec la première, la seconde démarche est davantage mémorielle, elle matérialise la volonté de faire mémoire d’une personnalité, souvent le bienfaiteur d’une communauté.

Au Moyen Âge, les représentations de donateurs n’ont rien de réaliste. De fait, elles ne sont pas de véritables portraits. En témoignent, au XIIIe siècle, les verrières offertes à la cathédrale de Chartres par les corporations de la ville, que l’on reconnaît aux représentations des activités propres à chaque métier (boulangers, fourreurs, drapiers…). À la cathédrale de Tours, la verrière dédiée à saint Martin dans une baie haute du chœur (3e quart du XIIIe siècle), montre l’abbé de Cormery offrant la verrière sur laquelle on reconnaît la forme ovoïde des médaillons (fig. 1). L’abbé n’est pas expressément nommé et ses traits ne sont pas individualisés. Dans le même édifice, la verrière offerte au XIVe siècle par les chanoines de la collégiale de Loches, montre neufs clercs priant la Vierge, tous traités de la même manière. Il n’est donc pas ici question de valoriser des identités individuelles, mais plutôt d’incarner une fonction, une institution.

Fig.1 Tours, cathédrale Saint-Gatien, baie 204, verrière de saint Martin (détail) : l’abbé de Cormery offrant la verrière © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Olivier Geneste

Avec la Renaissance, les portraits de donateurs se font plus réalistes, tout en continuant à obéir à certains stéréotypes. Des clercs, des seigneurs et leur famille, se font ainsi représenter en prière, par exemple devant une Vierge à l’Enfant ou une Vierge de Pitié, et souvent présentés par leur saint patron, comme on peut le voir à Mettray, Nazelles-Négron, Noizay…Ce type de création est également le fait de grands serviteurs du roi. La présence de la cour en Touraine à cette époque permet de stimuler la commande artistique, dont les verrières constituent de précieux témoignages, notamment celles commandées par Jacques de Beaune (†1527) pour les églises de Ballan-Miré et de Semblançay, sur lesquelles il est représenté avec son épouse Jeanne de Ruzé. Tous deux sont respectivement accompagnés par saint Jacques et saint Jean-Baptiste (fig. 2).

Fig.2 Semblançay, église Saint-Martin, baie 1, Jacques de Beaune présenté par saint Jacques (visage repeint par A. Bonnot, fin XIXe s.) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Marion Papin

Au XIXe siècle, et jusque dans le 1er tiers du XXe, les portraits sont toujours bien présents dans les vitraux, mais ne sont plus seulement ceux de donateurs à proprement parler. La démarche mémorielle prend le pas, en quelque sorte, sur l’acte votif. Ainsi, peut-on trouver des portraits qui sont des hommages aux bienfaiteurs d’une communauté, comme les époux Hilarion à Saint-Christophe-sur-le-Nais (atelier Florence, 1902). À Lignières-de-Touraine, une verrière offerte par l’abbé Brisacier (†1923), qui présente le portrait de ce prêtre et architecte natif de la paroisse, côtoie une autre verrière évoquant le souvenir du Dr Thomas, de Tours, également né à Lignières (Fournier et Clément, 1875). À Brèches, c’est aussi l’enfant du pays, le Dr Velpeau (†1867), qui est mis à l’honneur sur une verrière (fig. 3) (Lobin, 1867), en plus de son buste en marbre, disposé contre un pilier de l’église.

Fig.3 Brèches, église Saint-Martin, baie 0, portrait d’Alfred Velpeau, L.-L. Lobin © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Marion Papin.

Mais les portraits sont parfois présentés d’une manière moins directe et ostensible, et les traits de donateurs ou de chers disparus peuvent se confondre avec ceux des saints représentés (Monts, 1887, famille Delaville Le Roulx). À Villedômer, le curé Michel Blin (†1862) est figuré en priant, intégré à la scène (la Crucifixion), pourtant traitée de manière « archéologique », c’est-à-dire dans l’esprit d’une verrière du XIIIe siècle (fig. 4) (Lobin, 1868).

Fig.4 Villedômer, église Saint-Vincent-et-Saint-Gilles, baie 0, Vie du Christ (détail) : la Crucifixion, L.-L. Lobin © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Marion Papin

Donateurs, bienfaiteurs, personnalités marquantes, l’on voit ainsi se constituer au fil de notre recensement un véritable « trombinoscope » tourangeau, au sein duquel les artistes eux-mêmes trouvent leur place ! Ainsi croise-t-on le peintre-verrier Amand Clément (†1895) dans son église de Chédigny, associé à l’abbé Delaveau avec lequel il restaura l’édifice (fig. 5).

Fig.5 Chédigny, église Saint-Pierre, baie 7, Vie de la Vierge (détail), G. Clément © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard

En Touraine, l’église Saint-André de Château-Renault synthétise, pour le XIXe siècle, les différentes manières d’insérer un portrait dans un vitrail. On peut facilement repérer, sous les traits de donateurs priant, les portraits de l’abbé François Brocherieux et de Mgr Guibert, archevêque de Tours de 1857 à 1871, très actifs dans la restauration de l’édifice. Sur une autre verrière, parmi les apôtres qui entourent la Vierge au moment de sa Dormition, il est possible de reconnaître Placide Peltereau, propriétaire de grandes tanneries à Château-Renault et bienfaiteur de la paroisse (†1868). Son visage est tourné vers le spectateur, au contraire des autres protagonistes (fig. 6). Enfin, dans la grande verrière de la Toussaint (baie 10, 1863), que Julien- Léopold Lobin n’eut pas le temps d’achever, on repère aisément trois portraits insérés par Lobin fils, Lucien-Léopold, en hommage à trois de ses proches récemment disparus : sa sœur Mathilde, son frère Marcel, et donc son père, le concepteur de cette œuvre monumentale (fig. 7). Ces « portraits cachés » viennent ici en écho à une pratique assez courante chez les peintres de la Renaissance, période à laquelle ces verrières placées dans des baies du XVIe siècle se réfèrent directement.

Après 1918, quelques verrières d’églises ou de cimetières peuvent présenter des portraits de soldats tombés au Champ d’honneur (fig.8). Mais cette tradition du portrait, en bordure ou inséré, disparaît peu à peu avec l’adoption d’autres tendances moins soucieuses de réalisme, comme l’Art déco, puis l’abstraction. Des verrières commémoratives peuvent cependant continuer à offrir des portraits. Ainsi à Saint-Branch, une verrière réalisée par Van Guy et commandée à l’occasion du concile Vatican II, qui s’était clos le 8 décembre 1965, comporte les profils des papes Jean XXIII et Paul VI, réalisés d’après les médailles émises après le concile (fig.9).

Fig.9 Saint-Branchs, église Saint-Bénigne, baie 9, verrières commémoratives du concile Vatican II (détail), Van Guy © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Olivier Geneste

Plus récemment, à la faveur d’un retour à une certaine forme de figuration, une importante création pour le transept nord de la cathédrale de Tours, confiée à Gérard Collin-Thiébaut (atelier Parot, 2010-2013), propose une lecture contemporaine du message martinien. Le projet, d’abord conçu par infographie, puis imprimé sur des feuilles de verre, met en scène une foule d’anonymes, fidèles ou simples passants, un Père de l’Église sous les traits de Benoît XVI (fig.10), et plus discrètement l’auteur du projet lui-même, qui fait ainsi perdurer, à l’ère du numérique, les différentes facettes d’une tradition qui a traversé l’histoire du vitrail depuis le Moyen Âge.

Olivier Geneste (Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Châtillon-sur-Indre), chercheur associé au Service Patrimoine et Inventaire. Il conduit depuis 2006 le recensement et l’étude des verrières de la région Centre-Val de Loire.

Fig.10 Tours, cathédrale Saint-Gatien, baie 221, l’Église « famille de Dieu » (détail), G. Collin-Thiébaut © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Olivier Geneste

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