Aux sources des jardins euréliens

Publiée le 30 janvier 2024

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Face au changement climatique, les propriétaires, gestionnaires, paysagistes et jardiniers, professionnels et amateurs, se mobilisent pour offrir au plus grand nombre des parcs et jardins accueillants. Cette problématique questionne l’évolution des pratiques : modification de la palette végétale, fréquence de l’entretien, développement de la régénération naturelle des pelouses et des arbres, renforcement d’une veille sanitaire allant des racines jusqu’à la cime/fleur, recensement et protection de la faune et de la flore, mais aussi, gestion et économie de l’eau. Parallèlement à ces réflexions, l’environnement et les ressources naturelles hydrauliques sont de plus en plus protégés (législation1, essor d’objets d’étude à une échelle territoriale inédite que sont les « paysages de l’eau ») et nécessitent de nouveaux outils d’analyse.

Répondant à ces considérations, le service Patrimoine et Inventaire (SPI) de la Région Centre-Val de Loire, en partenariat avec l’Association des parcs et jardins en région Centre-Val de Loire (APJRC), a mené une étude de recensement des parcs et jardins et de leur patrimoine hydraulique sur le département d’Eure-et-Loir. Dans le même temps, l’APJRC, en partenariat avec l’équipe de recherche CITERES et l’INSA Centre-Val de Loire, s’est lancée depuis 2021 dans une étude de l’usage et de la gestion de l’eau dans les jardins de la région afin de comprendre son impact sur l’environnement.

Indispensable à la création et l’épanouissement du patrimoine végétal, l’eau s’affirme comme un enjeu planétaire majeur. Besoin vital et porteur de valeurs symboliques fortes, cet élément essentiel de l’âme des jardins contribue au genius loci2.

Élément nourricier représentatif de pureté, l’eau est tout à la fois source de fraîcheur et de lumière que composante mobile de l’espace, tantôt vive, tantôt dormante. Elle ajoute au plaisir esthétique des sens (vue, ouïe et toucher) lorsqu’elle est intégrée à la composition d’un jardin. Depuis l’Antiquité, sa force est également utilisée dans des systèmes mécaniques (motricité, pression, gravité) afin de joindre l’utile à l’agréable. En effet, la maîtrise de l’eau relève tout autant de la transformation plus ou moins profonde du site et de son environnement par le biais de canaux, béliers, etc., ou encore des savoirs et savoir-faire nécessaires à sa domestication à l’aide d’infrastructures techniques telles qu’aqueducs, norias3, etc., que de créations ornementales variées pour des mises en scènes aquatiques grâce au concours de nymphée4 ou de cascades.

Gravure du château d'Anet par Jacques Androuet du Cerceau en 1607
Vue du nymphée à l’extrémité nord des jardins du château d’Anet, dans l’axe perspectif central de composition (Vue à vol d’oiseau du château et des jardins d’Anet, Eure-et-Loir, gravure extraite de Jacques Androuet du Cerceau, Les plus excellents bastiments de France, 1607) © Metmuseum

L’architecture hydraulique, chargée d’acheminer l’eau, de la distribuer et de la sublimer, rend compte de l’évolution historique de l’art des jardins et d’une tradition mise en place dès l’Antiquité. Chaque époque est parvenue à tirer profit de ses connaissances scientifiques pour magnifier ses espaces de verdure. De nos jours, l’économie d’eau pousse les créateurs à se réinventer et les « jardins secs » employant des végétaux résistant à la sécheresse et nécessitant peu d’irrigation se développent.

Territoire jusqu’alors exempt de prospections poussées, le recensement par commune mené dans l’Eure-et-Loir a permis d’identifier près de 200 sites. Parmi ceux-là, une étude approfondie et comparative des sites d’intérêts de ce département avec des créations franciliennes pourrait dévoiler des parallèles intéressants au vu de leur proximité géographique.

Durant ces recherches, l’accent a également été mis sur la présence d’éléments hydrauliques notables, naturels et construits, révélant d’abondantes ressources sur tout le département : aqueduc à Maintenon, canaux à Villebon, carré en île à Pontgouin, vivier à Thiron-Gardais, bassin demi-lune à Saint-Lubin-des-Joncherets, glacière à Maillebois, bélier hydraulique à la Ferté-Vidame, fontaines à Barjouville, etc.

Ces observations ont notamment révélé des jardins méconnus comme ceux de l’abbaye Notre-Dame de l’Eau à Ver-lès-Chartres au sud de la capitale eurélienne. Fondée en 1226 par la comtesse Isabelle de Chartres pour des religieuses cisterciennes, l’abbaye est saccagée au 14ème siècle, brûlée au 16ème siècle, et détruite à la Révolution. Il subsiste aujourd’hui deux vestiges de l’abbaye originelle inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 20145 : le portail double donnant accès à l’ancienne porterie et l’aile orientale du cloître qui abritait la salle capitulaire. Il est également fait mention6 d’un jardin adjacent au palais abbatial dévoilant la vallée de l’Eure, d’un jardin potager, de vergers, de platanes séculaires et de peupliers, de bois, d’un clos de vigne et d’un canal creusé au 17ème siècle. Que reste-t-il de cet éden ? Les propriétaires actuels se sont employés depuis les années 2000 à recréer des jardins thématiques sur 8 hectares : roseraie, jardin blanc, jardin du Diable, labyrinthe, jardin des quatre saisons, verger, mais aussi pont d’inspiration asiatique, etc. Leur travail a été récompensé par le Prix d’Excellence Bonpland en 20147.

Vue de la façade ouest de l’ancienne salle capitulaire de l’abbaye Notre-Dame de l’Eau et des carrés de verdure (Eure-et-Loir) © DRAC Centre-Val de Loire, Fabienne Audebrand

La prospection se poursuit actuellement sur le département du Loir-et-Cher. Les recherches ont déjà fait remonter plus de 700 sites dont l’étude approfondie pourrait compléter la riche publication de Bernard Toulier Châteaux en Sologne8, avec notamment l’émergence de jardiniers-paysagistes et de caractéristiques paysagères propres à la Sologne.

Charlène Potillion, chargée de mission Inventaire à l’APJRC – Chercheur associé au SPI

1loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau, directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau
2La notion de genius loci, ou esprit du lieu, remonte à l’Antiquité. Elle désigne la divinité gardienne de la singularité de l’espace dans lequel elle vit. De nos jours, le genius loci rassemble les éléments matériels et immatériels qui contribuent à l’identité unique d’un site.
3« Machine élévatoire utilisant la force d’une chute d’eau dans un conduit et la pression d’un réservoir d’air pour élever l’eau à l’aide de soupapes. » Marie-Hélène Bénetière, Jardin, vocabulaire typologique et technique, Monum, Editions du patrimoine, Paris, 2006, p.332.
4« Construction élevée au-dessus d’une source naturelle ou artificielle, généralement en forme de grotte, accueillant un bassin d’ornement, une fontaine, des jeux d’eau, etc. », M.-H. Bénetière, Jardin, vocabulaire typologique et technique, op. cit., p. 138.
5Notice POP : PA28000039 consultée le 5 mai 2022.
6Archives du Diocèse de Chartres XIV, Cartulaire de l’Abbaye de Notre-Dame de l’Eau, publié par l’Abbé Ch. Métais, précédé d’une notice historique par M. l’Abbé Guillon, Chartres, 1908.
7Le Prix Bonpland, mis en place par la Société Nationale d’Horticulture de France il y a plus de 20 ans, a pour objectif de faire découvrir des jardins exemplaires dans leur conception et leurs pratiques de jardinage.
8Bernard Toulier, Châteaux en Sologne, Cahiers de l’inventaire, 1991.

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