Les orfèvres d’Orléans

Publiée le 5 février 2020

Recherche Nouvelles de la recherche Professionnel du patrimoine Époque moderne Époque contemporaine Loiret (45)

Le Salon régional des métiers d’art, organisé par la Région Centre-Val de Loire, s’est tenu du 7 au 9 février 2020 à Orléans. L’occasion d’évoquer, au travers de quelques pièces choisies, l’important centre de production d’orfèvrerie que fut cette ville du XVe au XIXe siècle.

L’art de l’orfèvrerie, dont les réalisations ont toujours suscité l’engouement des collectionneurs, a été peu étudié en France avant le milieu du XXe siècle. Sous l’impulsion déterminante de Pierre Verlet(1), des travaux sur les artistes français et leurs communautés furent lancés à la fin des années 1950, notamment l’étude approfondie des centres régionaux de fabrication et la réalisation d’inventaires systématiques des collections publiques et privées. A partir de 1980, les recherches sur la production elle-même et les poinçons se sont amplifiées, et ont fait l’objet de programmes spécifiques au sein du ministère de la Culture.

L’étude scientifique de l’orfèvrerie orléanaise d’Ancien Régime, quant à elle, fut entreprise par Nicole Verlet-Réaubourg(2) dans les années 1970 à partir de la collection du musée d’Orléans constituée, et progressivement enrichie, par Pierre Jouvellier, conservateur du musée historique et apparenté à l’illustre famille d’orfèvres Hanappier, puis par ses successeurs. Entre 2000 et 2002, l’enquête a été élargie au XIXe siècle afin d’offrir une vision aussi complète que possible de l’orfèvrerie orléanaise.

L’examen des sources (archives départementales, registres paroissiaux, minutiers notariaux, registres de comptes de fabriques…) a permis d’identifier plus de 370 orfèvres d’Ancien Régime et 190 fabricants marchands pour le XIXe siècle. La quête des œuvres, exécutée en parallèle, a abouti à la fin 2002 au repérage d’environ 300 pièces qui, pour la plupart, ont échappé aux confiscations monétaires et saisies révolutionnaires. Ce total, très faible au regard du nombre d’orfèvres répertoriés n’est pas représentatif de la production réelle, probablement largement supérieure, bien que l’on ne dispose d’aucune donnée générale : peu d’informations sur les artistes et leurs créations nous sont parvenues. Cependant, l’examen des objets révèle généralement un habile savoir-faire.

Rares sont les œuvres repérées datant des XVe, XVIe et XVIIe siècles et toutes à usage domestique : quelques couverts, deux coupes, une tasse à vin et une montre. L’orfèvrerie religieuse d’Ancien Régime est représentée par un seul ensemble calice et patène exécuté entre 1676 et 1678. L’orfèvrerie civile du XVIIIe siècle est la mieux représentée (plus des trois quarts des œuvres connues) sous forme d’aiguières, écuelles, gobelets, jattes et tasses à vin.

Le XIXe siècle constitue une période qui connaît de profondes mutations économiques, avec la modification de la réglementation professionnelle, la transformation des techniques de fabrication et enfin, l’évolution des goûts induisant l’émergence de nouveaux modèles. Elle voit en outre la renaissance de la production liturgique après la Révolution, lors de la réouverture des églises.

Publication « Les orfèvres d’Orléans ». Somogy éditions d’art, 2003

Des œuvres diversifiées : Écuelle (argent, diamètre : 17,8 cm).

L’écuelle au corps lisse et sans décor, est pourvu de deux anses, ou oreilles, ciselées ornées de volutes, de feuilles d’acanthe et d’une large palmette, se détachant sur un fond amati, c’est-à-dire dépoli pour être rendu mat. Elle est frappée du poinçon de jurande(3) d’Orléans pour la période 1738-1740 et du poinçon d’orfèvre de Jean Joseph Ytasse (1682-après 1757), descendant de la plus longue lignée d’orfèvres orléanais, en activité du XVe au XVIIIe siècle. Cette pièce élégante conservée dans une collection privée constitue l’un des rares objets identifiés de cet orfèvre, réceptionné à la maîtrise d’Orléans en 1698.

Écuelle (collection privée) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Mariusz Hermanowicz
Cafetière (argent, hauteur : 29 cm).

Achetée par le musée historique et archéologique de l’Orléanais en 1931, la grande cafetière au corps piriforme uni est portée par trois pieds en patin et dotée d’un manche en bois tourné noirci. Le bec est orné d’un décor ciselé d’enroulements et d’une coquille sur un fond amati ; le couvercle bombé est surmonté d’une prise en forme de fleur de tournesol, motif répandu dans l’orfèvrerie orléanaise. Elle est exécutée entre 1768-1770 par Pierre IX Hanappier (1706-1777), membre lui aussi d’une longue dynastie talentueuse d’orfèvres orléanais, active depuis le milieu du XVIe siècle.

Cafetière (Orléans, musée historique et archéologique de l’Orléanais) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Mariusz Hermanowicz
Soupière ou pot à oille(4) (argent, hauteur : 25,5 cm).

Bel exemple d’orfèvrerie domestique, cette sorte de soupière ou pot à oille est une pièce rare de la production orléanaise. Le galbe dépouillé du corps est souligné par des feuillages qui terminent les anses. Le couvercle, qui épouse la forme pansue du corps en prolongeant son volume en hauteur, est orné d’une grenade éclatée posée sur un tapis de feuilles dont quelques rameaux sont en bouton ou en fleur, motif d’ornement qui rencontra un franc succès auprès des orfèvres du XVIIIe siècle.
La soupière est frappée du poinçon de jurande d’Orléans pour la période 1782-1784 et du poinçon de Michel Pierre Bataille (1752-1816), maître orfèvre essentiellement auteur d’objets usuels de petites dimensions (timbales, tasses à vin, salières, gobelets).

Soupière (collection privée) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Mariusz Hermanowicz
Coupe de communion ou coupe de Sainte Cène (argent, intérieur de la coupe doré, pied en cuivre argenté, hauteur : 24, 3 cm).

La coupe de communion, utilisée dans le culte de l’Église réformée, est de forme tulipe, lisse et sans décor, vissée sur un pied circulaire. Le nœud de préhension et le pied sont ciselés de gerbes de blé, d’une fine guirlande de points, d’un cep de vigne, de blés en terre, d’une croix rayonnante accostée de quatre pieux jaillissant du sol et de fleurs à six pétales traités en soleil.
Comme l’indiquent les poinçons de titre(5) de l’argent et du département du Loiret, elle est exécutée entre 1798 et 1809 par le fabricant Jean François Béchard (1750-1824), renommé pour la variété et la qualité de ses créations.
Il s’agit en réalité d’un calice conçu à l’origine pour le culte catholique et acquis peu après la réorganisation du culte protestant à Orléans, peut-être lors de l’installation temporaire de la communauté dans l’église Saint-Pierre-Lentin en 1809. Plusieurs autres coupes de communion sont conservées au Temple qui révèlent l’importance historique de la communauté protestante dans la région.

Coupe de communion dite coupe de Sainte Cène (Orléans, Temple de l’Église Protestante Unie) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Mariusz Hermanowicz
Croix-reliquaire de la Vraie Croix (argent, rayons en argent doré, hauteur : 42 cm).

La croix-reliquaire provenant de l’église Saint-Aignan à Orléans, renferme la relique dans la cavité vitrée en forme de croix pratiquée à la croisée. Elle repose sur une base aux pieds formés par des enroulements de palmettes et de fleurs et est ornée sur ses quatre faces de panneaux sur lesquels figurent le triangle de la Trinité, les Tables de la Loi et les Instruments de la Passion. Des feuilles d’acanthe terminées par une fleur orne la naissance de la croix ainsi que les extrémités des bras, eux-mêmes encadrés par des rayons lumineux (un groupe est manquant). Classique dans son iconographie et représentative du style Louis-Philippe par ses larges feuilles d’acanthe et son décor alourdi, la croix constitue l’une des œuvres les plus abouties de l’orfèvrerie religieuse orléanaise. Elle est exécutée par Marie Noël Lesguillon (1786-1870) entre 1838, date du poinçon de garantie(6) pour les gros ouvrages en argent, et 1870, date de la mort du fabricant.

(1) Pierre Verlet (1908-1987), archiviste-paléographe et spécialiste du mobilier et de l’art décoratif français du Moyen Âge à l’Ancien Régime, fut conservateur en chef du département des Objets d’art du musée du Louvre.
(2) Nicole Verlet-Réaubourg (1909-2013) était archiviste-paléographe et spécialiste de l’orfèvrerie. Son étude sur les orfèvres d’Orléans sous l’Ancien Régime est à l’origine de l’exposition Les Orfèvres d’Orléans organisée au musée des Beaux-Arts d’Orléans du 12 mars au 24 mai 2003.
(3) Le poinçon de jurande ou lettre-date, apposé par le bureau des orfèvres de la ville, appelé Maison Commune, garantissait le taux de métal précieux. Il permet de dater la fabrication de la pièce.
(4) Le pot à oille est un large récipient servant à présenter les viandes en sauce accompagnées de leurs légumes.
(5) Le poinçon de titre garantit l’exactitude du « titre » (pourcentage de métal précieux utilisé dans un alliage) exigé par le règlement officiel.
(6) Le poinçon de garantie, appliqué après le poinçon de titre, garantit le paiement de l’impôt sur les métaux précieux ; il est calculé selon la taille de la pièce.

Françoise Jouanneaux, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire

Croix-reliquaire de la Vraie Croix (Orléans, église Saint-Aignan).

Pour en savoir plus sur les orfèvres d’Orléans :
– Les dossiers d’inventaire sont consultable sur la plateforme de diffusion des données du SPI.
Les Orfèvres d’Orléans. Catalogue collectif réalisé sous la direction d’Isabelle Klinka-Ballesteros. Paris : Somogy, 2003. Consultable dans notre centre de documentation.

Restez connecté

L’actualité de l’inventaire est dans notre Lettre d’informations