Dès leur création, dans le deuxième quart du XIXe siècle, les ateliers et manufactures de vitraux peints ont pris pour modèles les verrières anciennes conservées dans les édifices religieux. Nés à la fois d’une volonté de restaurer ces verrières et d’en créer de nouvelles, ces ateliers ont rapidement acquis une connaissance intime de ce patrimoine, qui bénéficiait alors d’un regain d’intérêt majeur, après une longue période d’oubli amorcée dès le milieu du XVIIe siècle.
En effet, malgré l’importance des verrières dites « tableaux », reflets de la peinture académique à sujets religieux et historiques, la tendance qui domine la création verrière jusqu’à la Première Guerre mondiale est celle qui consiste à imiter les styles des périodes anciennes, principalement le XIIIe siècle, considéré comme un âge d’or du vitrail. Les églises vont donc, de nouveau, se parer de verrières à médaillons, disposés sur des fonds à décor géométrique, dites alors « verrières à légendes » car principalement dédiées au développement de cycles narratifs (vies du Christ, de la Vierge, des saints…).
Au fil des décennies, la connaissance du vitrail ancien va aussi se diffuser grâce à des publications savantes, participant à une diversification progressive des modèles employés par les peintres-verriers, qui ont à cœur de s’inscrire dans une certaine tradition, tout en proposant certaines innovations.
À Tours, l’un des principaux foyers de création verrière en Centre-Val de Loire, cette diversité des modèles employés peut être illustrée à travers de nombreux exemples. Nous ne retiendrons que les plus caractéristiques.
À Saint-Pierre-Ville, église paroissiale du Faubourg Saint-Pierre-des-Corps, l’abbé Alphonse Plailly, pionnier de la redécouverte de l’art du vitrail, réalise une première verrière en 1846, en s’inspirant directement d’une baie de la nef de la cathédrale Saint-Gatien, figurant L’Annonciation (fig.1-2), ainsi que d’un panneau représentant saint Jean-Baptiste (XVe s.). La réussite technique et le succès critique de cette verrière permet la fondation d’un atelier pérenne, impliquant notamment le peintre Julien-Léopold Lobin, qui en devient le directeur en 1848.
Dès cette année 1848, Julien-Léopold Lobin s’appuie à son tour sur les vitraux de la cathédrale Saint-Gatien afin de créer deux verrières pour l’église de Savigny-en-Véron. En effet, l’oculus de la chapelle sud, représentant un saint évêque trônant et bénissant (fig.3), découle directement des verrières hautes du chœur et du transept de la cathédrale, dont les tympans sont occupés par des figures du même type, placées sur des fonds à bandes entrecroisées, alternativement rouges et bleues (3e quart XIIIe s.) (fig.4). Notons que les verrières de la cathédrale étaient bien connues de l’atelier Lobin, puisque Jean Marchand, l’un de ses co-fondateurs, venait d’en effectuer un relevé précis, publié en 1849 (Verrières du chœur de l’église métropolitaine de Tours : dessinées et publiées par J. Marchand).
Mais l’édifice qui permet de mieux appréhender le rôle des verrières anciennes en tant que modèles pour des créations nouvelles, est sans conteste l’église Saint-Étienne de Tours, édifiée par Gustave Guérin entre 1864 et 1874, et vitrée par Lucien-Léopold Lobin, fils du précédent, à partir de 1872. Les verrières du chevet, qui relatent l’enfance, la vie publique et la Passion du Christ, présentent différents panneaux directement inspirés des verrières de Chartres. C’est notamment le cas pour L’Annonce aux Bergers (fig.5-6), La Nativité (fig. 7-8), ou encore La Fuite en Égypte.
Dès le milieu du siècle, la publication par J.-B.-A. Lassus et P. Durand de leur Monographie de la cathédrale de Chartres, architecture, sculpture d’ornement et peinture sur verre, donnait en effet un accès illimité à ce remarquable ensemble médiéval, dans lequel les ateliers pouvaient puiser à loisir. À l’église Saint-Étienne, la composition d’origine est globalement respectée, mais des libertés sont prises, parfois pour une adaptation à un format différent, parfois dans le choix des couleurs, le peintre-verrier contemporain étant avant tout guidé par l’harmonie chromatique de sa propre verrière.
Ce sont les verrières d’une autre cathédrale qui permettent à Lobin de réaliser le cycle dédié à saint Étienne, dans le transept nord. La cathédrale Saint-Julien du Mans, comme celle de Chartres, avait vu ses verrières reproduites et publiées en 1865 par Eugène Hucher, dans son ouvrage : Calques des vitraux peints de la cathédrale du Mans. Les différents panneaux de la vie de saint Étienne sont ainsi repris par Lobin (fig.9-10), qui ajoute toutefois à l’ensemble une scène inédite, figurant l’arrivée des reliques d’Étienne à Tours, accueillies par saint Grégoire et placées sous l’autel de l’ancienne église Saint-Étienne (aujourd’hui disparue).
La cathédrale de Tours enfin, avec trois verrières du XIIIe siècle consacrées à saint Martin, offre à Lobin plusieurs modèles pour la grande baie sud de Saint-Étienne, consacrée à l’apôtre de la Touraine. La Charité de saint Martin, Le Miracle du pin (fig.11-12), ou encore La Chute dans les escaliers, provoquée par le diable mais évitée grâce à un ange (fig.13-14), sont autant de scènes qui trouvent leur source à la cathédrale.
Ces quelques exemples démontrent la capacité des peintres-verriers du XIXe siècle à utiliser et à réinterpréter les modèles médiévaux, dont ils avaient une connaissance approfondie, nourrie de leurs propres relevés, de leurs travaux de restauration, et enfin des publications qu’ils pouvaient acquérir (l’atelier Lobin comprenait une bibliothèque spécialisée), ou consulter auprès des sociétés savantes (Mgr Casimir Chevalier, alors président de la Société Archéologique de Touraine, est le véritable concepteur des verrières de Saint-Étienne de Tours).
En définitive, plus que simples « pastiches », comme on les a trop souvent qualifiées, ces créations illustrent pleinement l’héritage des artistes du XIXe siècle, dont l’ambition était de régénérer l’art religieux de leur temps, en prenant appui sur les prestigieux legs du passé.
Olivier Geneste (Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Châtillon-sur-Indre), chercheur associé au Service Patrimoine et Inventaire
Pour aller plus loin :
–Le vitrail en Touraine au XIXe siècle. Un foyer de création. Textes : O. Geneste ; photographies : H. Bouguet, T. Cantalupo, V. Lamorlette-pingard, F. Lauginie. Région Centre-Val de Loire, Lieux-Dits éditions, 2022 (Images du patrimoine, n°318), 112 pages.
–Saint-Étienne de Tours. Un quartier, une église. Textes : O. Geneste ; photographies : A. Perrot. Rencontre avec le Patrimoine religieux, 2022, 80 p.