50 ans d’Inventaire général du patrimoine culturel en milieu rural : une pratique toujours d’actualité

50 ans SPI 50 ans du SPI Recherche Professionnel du patrimoine Cher (18) Eure-et-Loir (28) Étudiant‐Chercheur Indre (36) Enseignant Indre-et-Loire (37) Loir-et-Cher (41) Loiret (45)
Le patrimoine rural et la démarche de l’Inventaire général
S’adapter à toutes les situations de prise de vue : comment rendre compte d’une charpente ?

Depuis 1964 l’Inventaire général du patrimoine culturel a pour mission d’étudier le patrimoine dans toutes ses composantes matérielles, sur une période chronologique allant du Haut Moyen Âge à notre époque moins trente ans, à l’exception des collections des musées et des objets privés. L’Inventaire est général en ce qu’il examine, sans présupposé qualitatif, les œuvres « de la petite cuillère à la cathédrale » selon une formule désormais consacrée. Pensé comme une entreprise de recherche fondamentale dont l’objet essentiel est la constitution d’une documentation de référence excluant toute préoccupation fiscale ou administrative, l’approche globale de l’Inventaire général a fortement contribué à l’élargissement du champ patrimonial, incluant dès l’origine, aux côtés des châteaux et des églises, l’architecture rurale puis le patrimoine industriel et technique. La méthode employée lors des enquêtes ainsi que le vocabulaire descriptif et les modes de restitution des études répondent à une exigence d’homogénéité qui s’applique à l’ensemble des études conduites dans chacune des régions. La photographie professionnelle, conçue dès l’origine comme un aspect essentiel de la recherche, est indissociable de l’étude.

Des études rurales avaient déjà été engagées avant la création de l’Inventaire général ou parallèlement à celui-ci, conduites par des ethnologues et des architectes. On peut signaler en particulier « l’enquête d’architecture rurale » dite EAR 14251, menée à l’initiative du musée national des arts et traditions populaires ; bien qu’inachevée pour l’ensemble du territoire français, elle a largement inspiré la pratique de l’Inventaire général en associant description, relevés d’architecture et photographie.

 

En plaçant l’enquête de terrain au cœur de sa pratique, le chercheur analyse et décrit les œuvres in situ ; il consulte les sources archivistiques et la bibliographie disponible – lorsqu’elles existent, ce qui n’est pas toujours le cas en matière de bâtiment ruraux – tandis que le photographe restitue les vues d’ensemble et de détail nécessaires à la compréhension de l’édifice, complétées si besoin par des plans et des relevés en élévation. Les opérations d’inventaire conduites en milieu rural s’attachent à la description des aspects matériels des édifices et n’abordent généralement pas les aspects coutumiers et symboliques dont le champ d’étude relève de l’ethnologie et de la sociologie.

L’information collectée est restituée sous forme de dossiers dont la structure homogène rend les comparaisons possibles, non seulement au sein d’une même région mais à l’échelle du territoire national ; ces dossiers mis en ligne sont consultables par tout un chacun. Depuis la création de l’Inventaire général, il arrive désormais que le seul témoin d’un édifice rural soit le dossier d’inventaire, le bâtiment quant à lui ayant disparu. L’Inventaire général participe à la constitution de notre mémoire collective ; il retient et restitue un échantillon sélectif de bâtiments ruraux, dans un contexte d’évolution du monde agricole où l’accroissement de la taille des exploitations va de pair avec la diminution du nombre d’exploitants, posant la question de l’avenir d’édifices ayant perdu leur fonction première.

Hangar en bruyère à Saint-Flovier (Indre-et-Loire), construit vers 1950, état en 1989 © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Robert Malnoury
Qu’entend-on par « patrimoine rural » ?

Si l’expression « patrimoine rural » est couramment employée, elle ne renvoie pourtant pas à un descripteur validé dans les outils méthodologiques de l’Inventaire général qui opèrent un classement des édifices par fonction et non par implantation géographique.

A l’usage, le contour de la notion reste un peu flou : le « patrimoine rural » n’est pas réductible à l’architecture rurale, puisque des objets mobiliers sont aussi concernés (charrettes, meubles, outils par exemple) ; mais l’architecture rurale ne se laisse pourtant pas si facilement définir : on ne saurait en effet la limiter à l’architecture agricole selon les descripteurs retenus dans le thésaurus de l’architecture2. On y adjoint, dans la pratique, les lavoirs3 des bourgs et des écarts, les puits et fontaines4, les moulins5… Si l’on pose la question pour les manoirs, on hésite parfois alors que ce n’est pas le cas pour les châteaux, pourtant le plus souvent situés à la campagne mais que le sens commun écarte, tant l’idée de patrimoine rural est associée à celle de patrimoine modeste. Le patrimoine relatif aux voies d’eau, particulièrement présent en milieu rural, relève cependant du champ d’étude du patrimoine scientifique et technique.

Certains fonds publics, comme le Fonds Régional pour le Patrimoine Culturel de Proximité, alimenté par la Région Centre-Val de Loire et la Fondation du patrimoine, dédiés à la restauration des édifices, sont alloués au travers de dispositifs appelés « petit patrimoine rural » (PPR), « patrimoine rural de proximité » (PRP) grâce auxquels il est possible d’intervenir aussi bien sur des loges de vigne que des églises…On le voit, l’appellation « patrimoine rural » recouvre une réalité plurielle qui laisse place à l’interprétation. Dans la pratique, après 50 ans d’enquêtes et d’études, qu’avons-nous, en région Centre-Val de Loire, inventorié en matière de patrimoine rural ?

L’inventaire du patrimoine rural en Région-Centre Val de Loire

1 – Aires d’études inventoriées et accès à la documentation

Les premières études menées en région Centre-Val de Loire ont démarré en 1972 et ont longtemps été mises en œuvre à l’échelle des cantons ; ceux-ci constituaient des aires géographiques de taille commode pour appréhender un territoire tout en assurant un délai de restitution des résultats raisonnable. Aujourd’hui, alors que le redécoupage territorial6 en a modifié la taille et que les intercommunalités se sont multipliées, le canton n’est plus le lieu du cadrage systématique des enquêtes. On lui préfère souvent une aire géographique porteuse de sens comme une vallée, une zone viticole…

Prises en compte dès la création du service, les études consacrées au patrimoine rural en région Centre-Val de Loire n’ont jamais été délaissées et sont actuellement engagées sur trois grands territoires : la Brenne, le Perche et la Beauce.

Par département, les cantons suivants ( avant le nouveau découpage en 2014) ont été inventoriés :

– Cher, entre 1974 et 2004 : Argent-sur-Sauldre ; Saint-Amand-Montrond ; Dun-sur-Auron ; Sancerre ; Châteaumeillant ; Vailly-sur-Sauldre.

– Indre : cantons de La Châtre ; Sainte-Sévère ; Aigurandes ; Neuvy-Saint-Sépulchre ; Eguzon-Chantôme (inventaires bénévoles entre 1972 et 1975). Canton du Blanc ; grâce au partenariat avec le Parc naturel régional de la Brenne 34 communes sur les 51 que compte le PNR (cantons de Belâbre, Le Blanc, Tournon-Saint-Martin, Mézières-en-Brenne) sont maintenant inventoriées, l’objectif étant d’aboutir à un inventaire complet du patrimoine rural du Parc.

– Eure-et-Loir : au sein du Parc naturel régional du Perche, l’inventaire des 43 communes situées en région Centre-Val de Loire est en cours. Par ailleurs une nouvelle étude thématique consacrée aux fermes de la Beauce a démarré. Les propriétaires des fermes sont invités à y participer au moyen d’une application en ligne.

– Indre-et-Loire : cantons de Chinon, Azay-le-Rideau, L’Ile-Bouchard, le Grand-Pressigny, Neuvy-le-Roi, Bléré, la vallée de la Brenne de Château-Renault à la Loire.

– Loir-et-Cher : cantons de Mennetou-sur-Cher, Lamotte-Beuvron, Salbris, Neung-sur-Beuvron, Bracieux ; commune de Chaumont-sur-Loire ; étude en cours des fermes de Beauce.

– Loiret : cantons de La Ferté-Saint-Aubin, Sully-sur-Loire, Châtillon-Coligny, Cléry-Saint-André, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Beaugency ; étude en cours des fermes de Beauce.

Tous les dossiers y compris les photos sont consultables en ligne à partir de ce site. Plusieurs publications dans les collections nationales « Parcours du patrimoine », » Images du patrimoine » et « Cahiers du patrimoine » sont consultables au centre de documentation et disponibles à la vente.

2 – Quelques particularités mises en évidence à l’occasion des enquêtes d’inventaire

Ferme du Grand Hôtel à Aillant-sur-Milleron (Loiret), grange-étable et remise accolée, état en 1997 © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Mariusz Hermanowicz

Dans le Loiret aux environs de Châtillon-Coligny, la permanence des techniques de construction en pan de bois et torchis a été mise en évidence du XVe au XIXe siècle en particulier dans les annexes agricoles. C’est ainsi qu’à Aillant-sur-Milleron au lieu-dit le Grand Hôtel, un ensemble de bâtiments construits à l’instigation d’un même propriétaire entre 1875 et 1886 et faisant toujours appel à ces techniques a pu être identifié.

L’inventaire de la Sologne – qui s’étend sur une partie du Loiret, du Loir-et-Cher et du Cher – a montré l’ampleur de l’usage de la brique dans les constructions vernaculaires aux côtés de constructions souvent plus anciennes en pan de bois. Un logis du XVIIIe siècle a été inventorié en 1976 sur la commune de Saint-Florent-le-Jeune (Loiret), portant l’un des derniers exemples de cheminée en brique à double conduit rond connu en Sologne. Ce bâtiment est aujourd’hui détruit.

Fermes des Suplissons à Saint-Florent-le-Jeune (Loiret), état en 1986 © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Robert Malnoury
Maison à Prigny, commune de Concremiers (Indre), état en 1997 © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Mariusz Hermanowicz

Dans la Brenne (Indre), canton du Blanc, une trentaine de maisons médiévales des années 1450-1500 ont été repérées, répondant à une typologie particulière : le logis à pièce unique est percé d’une porte d’entrée dans le mur pignon sur lequel s’appuie un four à pain décentré ; la pierre d’évier est placée sur l’un des murs gouttereaux et la pièce est éclairée par une fenêtre située en face. L’accès au comble se fait par l’extérieur au moyen d’une échelle.

La recherche en archive permet parfois, situation assez exceptionnelle, de retrouver le commanditaire et l’architecte d’une ferme ou d’un bâtiment d’exploitation, tout en fournissant un plan global du projet tel qu’il a été pensé, que celui-ci soit réalisé en totalité ou partiellement. C’est par exemple le cas de l’ancienne ferme de la Chesnaye à Athée-sur-Cher (Indre-et-Loire), dont les plans retrouvés ont permis d’identifier l’actuelle coopérative vinicole

Ces quelques exemples illustrent la diversité des apports des enquêtes conduites en milieu rural, enquêtes dont la précision s’est progressivement accrue grâce au recours à une méthode de datation fiable : la dendrochronologie.

La Chesnaye, communs et dépendances par Pierre-Victor Cuvillier, architecte ; publié dans : Le Recueil d’architecture, 10e année, 1883. Wulliam et Farge (dir.). Archives départementales d’Indre-et-Loire, 7 Fi 43

3 – L’apport de la dendrochronologie à la connaissance du patrimoine rural

Dans le département d’Indre-et-Loire, une étude pionnière a été réalisée entre 1986 et 19917 sur le canton du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire) où les analyses dendrochronologiques, établies à partir des cernes de croissance du bois, ont permis de dater dix logis entre 1461 et 1560 et une grange vers 1460. L’intérêt majeur de cette étude a été de prouver l’ancienneté de bâtiments ruraux pour certains très modestes ; à l’époque cela avait provoqué une réelle surprise en raison du nombre conséquent de témoins encore visibles8.

Dans le cadre des inventaires conduits depuis, le recours à l’analyse dendrochronologique est devenu plus fréquent mais non systématique.

Quelques belles découvertes ont ainsi été réalisées, comme comme la grange de Flux à Lailly-en-Val (Loiret)9 dont la charpente a pu être datée des années 1320-1325.

Signalons également quelques découvertes plus récentes comme la grange des Arrouges à Reugny (Indre-et-Loire) construite dans le dernier quart du XVe siècle et une ferme à Sublaines (Indre-et-Loire) dont la grange (au centre) est datée des années 1462-1467.

Le lecteur intéressé pourra compléter ces exemples avec les articles suivants :

MAILLARD, Florent. L’apport de la dendrochronologie dans l’étude de trois manoirs de la vallée de la Berthe (Eure-et-Loir).

BENNAROUS, Renaud. L’Inventaire de l’architecture rurale dans le Parc naturel régional de la Brenne : l’exemple de l’opération conduite à Néons-sur-Creuse.

Martine Lainé, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire

1 L’EAR 1 425 s’est déroulée de 1940 à 1948 puis a été reprise et complétée en 1968. Pour des précisions sur cette enquête, voir : DENIS, Marie-Noëlle. L’enquête d’architecture rurale (1940-1968), une étape dans la construction de l’ethnologie française. In : Du folklore à l’ethnologie [en ligne]. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009 (généré le 09 avril 2021). Disponible sur Internet : https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.10068.
2 Thesaurus de la désignation des œuvres architecturales et des espaces aménagés. Paris : Mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel, Ministère de la Culture et de la Communication, 2015. http://data.culture.fr/thesaurus/resource/ark:/67717/T96 (consulté le 19 mai 2022).
3 Édicules de l’administration ou de la vie publique, selon le Thesaurus de la désignation des œuvres architecturales et des espaces aménagés. (op. cit.)
4 Ouvrages du Génie civil (op. cit.)
5 Édifice industriel ou artisanal, rattaché à l’architecture industrielle (op. cit.)
6 Consécutif à la loi n°2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers territoriaux, municipaux et communautaires.
7 Bardisa, Marie. L’habitat rural du canton du Grand-Pressigny XVe-XXe siècles. Bulletin de la société archéologique de Touraine, tome XLIII, 1992, p. 565-629 et du même auteur : Pressigny en Touraine, chapitre V, coll. Cahiers du patrimoine n°47, 1997.
8 Voir également : Lainé, Martine. Les fermes des XVe-XVIe siècles datés par dendrochronologie aux environs de Bléré et du Grand-Pressigny. Bulletin de la Société archéologique de Touraine, Tome XIII, 2017.
9 Daniel Bontemps, « La grange seigneuriale de « l’hébergement » de Flux à Lailly-en-Val (Loiret) au XIVe siècle », In Situ [Online], 7 | 2006, Online since 18 April 2012, connection on 17 October 2019.
URL : http://journals.openedition.org/insitu/2936 ; DOI : 10.4000/insitu.2936.

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