Le Centre-Val de Loire abrite deux parmi les plus importantes régions européennes d’étangs de pisciculture : la Sologne, la plus vaste, et la Brenne, située dans le quart sud-ouest du département de l’Indre. Ces espaces ont en commun une densité exceptionnelle en plans d’eau, formant, en soi ou pour leurs abords, des milieux à fortes potentialité et diversité biologiques. La Brenne est ainsi inscrite, depuis 1991, à la liste de protection Ramsar recensant les zones humides d’importance internationale.
Pourtant l’étang, perçu ici en tant qu’écosystème, demeure avant tout un agrosystème remarquable, pensé et construit par l’homme afin de pratiquer l’élevage du poisson. La production piscicole régionale se compte aujourd’hui en milliers de tonnes.
La Région Centre-Val de Loire et le Parc naturel régional de la Brenne se sont associés dans une opération inédite de valorisation de ces ouvrages, à la croisée des patrimoines culturel et naturel. Les étangs, « constructions de l’eau » originales, méritaient en effet une attention particulière car force est de constater qu’ils n’avaient, à ce jour, pas été étudiés ni mis en valeur par les services régionaux de l’Inventaire.
Engagée récemment, cette enquête, pionnière en Inventaire général, vise à faire connaître et reconnaître les étangs brennous, sous toutes les formes et tous les usages qu’ils puissent présenter, en tant qu’éléments remarquables du patrimoine culturel régional.
Si l’on dénombre aujourd’hui plus de 4 000 plans d’eau dans l’étendue du Parc, tous ne peuvent toutefois se targuer d’être des étangs historiques. Ces derniers, dits préindustriels, se comptent pourtant par centaines et se concentrent, pour l’essentiel, en Grande Brenne, cœur identitaire du territoire.
Construits à partir du Moyen Age, ces étangs sont absolument tous artificiels : il s’agit de retenues d’eau constituées par endiguement d’une portion d’un bassin hydrographique.
Les plus nombreux de ces aménagements sont le support de la pisciculture. Leur architecture, plus ou moins complexe, répond avant tout aux exigences de cette pratique, l’élevage du poisson par inondation, même si d’autres usages ont présidé à la création de certains plans d’eau (par exemple la fonction énergétique pour les étangs à moulin ou à forge).
Dans sa plus simple expression l’étang se compose d’une digue, d’une retenue d’eau, d’un dispositif de régulation d’eau, et d’une « pêcherie » pour récolter le poisson lors des vidanges.
La digue (appelée aussi chaussée) est une levée de terre généralement rectiligne parfois composée de plusieurs tronçons. Elle est le plus souvent protégée par un revêtement (historiquement en moellons de grès).
La bonde, élément emblématique de l’étang de Brenne, est une vanne actionnable par le haut de la digue. Les modèles connus les plus anciens, dits bondes à pilon, sont entièrement en bois de chêne. Certains ont été datés par dendrochronologie du 15e siècle.
A partir du 20e siècle, un grand nombre de ces dispositifs est détruit et remplacé par des dispositifs de ciment et de métal.
Au pied de la bonde, se trouve la pêcherie ou poêle, seule partie creusée de l’étang où se concentre le poisson lors des vidanges et où il est pêché au filet.
Le choix local de la pisciculture en étangs au cours du Moyen Age est certes une réponse sociétale aux contraintes environnementales locales (faibles potentialité agronomique des sols et perméabilité du sous-sol) mais il s’inscrit avant tout dans les dynamiques économiques de l’époque. La pratique qui se développe surtout entre le 13e et le 16e siècle n’est pas seulement portée par les élites rurales mais également par les classes populaire et moyenne. Cet essor trouve son origine dans l’augmentation des besoins alimentaires des populations urbaines et certainement dans l’introduction d’un produit d’élevage innovant, la carpe danubienne alors inconnue en France jusqu’aux environs du 13e siècle.
Cette valorisation inédite prendra la forme d’une publication de la collection nationale « Images du Patrimoine ». Elle s’appuiera sur l’enquête programmée en 2020-2021 (constitution d’un corpus iconographique ancien inédit, vérifications des structures sélectionnées in situ et missions photographiques professionnelles, au sol et aériennes) mais aussi sur les résultats d’une étude thématique menée, entre 2006 et 2008, par le Service régional de l’Archéologie de la région Centre et le Parc naturel régional de la Brenne.
Renaud Benarrous, chargé de mission Inventaire au Parc naturel régional de la Brenne et chercheur associé du SPI