L’étude de la ferme de Villeneuve-Languedoc s’inscrit dans le contexte élargi de l’inventaire des fermes de Beauce en région Centre-Val de Loire, sur un territoire concernant près de 300 communes. Cet inventaire, démarré en 2021, fait appel pour une part à l’action participative en invitant les agriculteurs à témoigner de l’histoire de leur exploitation au moyen d’un questionnaire en ligne et en rencontrant, si tel est leur souhait, le chercheur en charge de ce travail de mémoire. Toutes les informations à ce sujet sont consultables sur le présent site.
En parallèle, un important travail de repérage au moyen d’outils numériques a permis de recenser un peu plus de 200 fermes parmi lesquelles s’opère une sélection des plus remarquables, selon des critères liés à l’époque de construction, l’homogénéité du bâti, les sources d’archives disponibles, les techniques de construction ou les matériaux employés.
La ferme de Villeneuve-Languedoc à Réclainville (Eure-et-Loir) a retenu notre attention car elle avait déjà fait l’objet d’un recensement en 1943 dans le cadre d’une vaste enquête conduite de 1942 à 1945 dans toute la France. Cette enquête nationale1, intitulée « Enquête d’architecture rurale », conduite sur le terrain par des architectes chargés de dresser les plans et les élévations de bâtiments ruraux afin de conserver la trace d’un patrimoine en cours de transformation, a donné lieu à la publication de plusieurs volumes et devait à terme livrer un panorama de l’architecture rurale française, province par province. Tous les volumes envisagés ne sont malheureusement pas parus (en Région Centre-Val de Loire, la Touraine fait cruellement défaut) et aucun volume n’est consacré spécifiquement à la Beauce. C’est cependant dans celui consacré à l’Ile-de-France2 qu’est présentée la ferme de Villeneuve-Languedoc. Quatre-vingts ans après cette étude, nous avons voulu savoir si des transformations marquantes avaient ou non été apportées à ce vaste ensemble qui constitue une exploitation toujours en activité.
Du nord au sud, le long de la rue du Bois, les divers bâtiments s’étendent aujourd’hui sur un peu plus de 160 mètres avec un second alignement parallèle déterminant une vaste cour rectangulaire fermée au nord et au sud par d’autres bâtiments d’exploitation. Ces proportions considérables qui résultent de la fusion de deux exploitations vers 1835 ont été peu modifiées : à l’extérieur de la cour, au nord, une grange séparée par un fossé a disparu ; au sud, trois nouveaux bâtiments sont venus remplacer l’ancienne fosse à purin et deux paillers3. Tous les autres bâtiments sont encore en place et l’ensemble est parfaitement lisible.
L’origine du hameau de Villeneuve-Languedoc, situé au sud-ouest du bourg de Réclainville, semble remonter au XIe siècle. « Les vexations et la misère forçaient quelquefois les habitants d’un lieu à émigrer dans un autre. Au XIe siècle, le moine Urson, pour soustraire ceux de la terre de Cipedus au viguier qui les opprimait, les transféra au levant de Boisville, dans un endroit qui fut nommé Villeneuve. »4. La ferme ne présente aucune trace de cette époque.
En 1530, Villeneuve-Languedonne constitue un fief, annexé et réuni à Ecrosnes, et relève de la châtellenie de Nogent-le-Roi, sans que l’on sache si la ferme existait à cette date.
Au milieu du XVIIIe siècle, on trouve mention, dans le terrier de l’évêché de Chartres pour la seigneurie de Santeuil5, de Denis-Auguste Beauvoir de Grimoard, seigneur de Villeneuve-Languedoue. Les recherches dans les actes notariés n’ont pas encore été effectuées pour l’instant. C’est là vraisemblablement que l’on trouverait les baux renseignant sur l’état de la ferme avant la Révolution et jusqu’à l’établissement du plan cadastral de 1835.
Un plan terrier de la terre de Boisville, non daté, nous donne cependant une vision précieuse du lieu dénommé Villeneuve-Languedouc avant la Révolution. Ce plan est orienté avec le nord en haut de l’image. On note qu’à ce moment l’exploitation actuelle était divisée en 3 cours distinctes appartenant à deux exploitations. Un verger longeait la ferme à l’est tandis qu’au nord s’étendait une petite zone boisée dite « Parc de Villeneuve ».
La comparaison du plan précédent avec celui du premier cadastre montre que la cour qui était fermée au sud sur la parcelle 2479 ne l’est plus totalement en 1835. Après cette date, les deux exploitations ont fusionné puis deux vastes granges-bergeries ont été construites, fermant au nord la cour principale. A l’est subsiste une vaste grange couverte en tuile plate, déjà présente sur le premier plan.
De source orale, on élevait dans cette ferme plus de 300 moutons et une trentaine de vaches laitières avant 1940. L’avancée du logis formant un bow-window a été construite en 1921-22. On voit à travers cet exemple les multiples transformations qui affectent un lieu au gré des usages et des changements de propriétaires.
A la suite de l’enquête d’architecture rurale de 1943, le musée national des arts et traditions populaires (autrefois situé au Bois de Boulogne à Paris) a fait réaliser en 1970 une maquette de cette ferme pour la présenter dans une vitrine d’architecture comparée ; elle a déménagé avec l’ensemble des collections de ce musée pour rejoindre le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem)6 à Marseille.
Martine Lainé, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
1 Entreprise sous la direction de Pierre-Louis Duchartre et Georges-Henri Rivière, cette enquête a donné lieu à la réalisation de 1759 monographies d’habitations rurales.
2 DE BILLY-CHRISTIAN, Francine ; RAULIN, Henri : L’architecture rurale française, corpus des genres, des types et des variantes : Ile-de-France, Orléanais. Grande Beauce : Réclainville, p. 168-173. Berger-Levrault éditeur, 1986.
3 Lieu où l’on entrepose la paille.
4 Cartulaire de l’abbaye de Saint-Père de Chartres publié par M. Guérard. Tome 1, Paris : Imprimerie Crapelet, 1840. Note 212.
5 Archives départementales d’Eure-et-Loir, G 92.
6 Maquette réalisée par Michel Charpentier. Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, cote phm-1970-117-1.