La Reconstruction des écoles des villes sinistrées du Val de Loire après 1945

Publiée le 25 septembre 2024

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Lors de l’invasion allemande de 1940 et des bombardements alliés de 1944, des millions d’édifices ont été endommagés ou détruits partout en France : maisons, immeubles, fermes, usines, églises, mais aussi écoles.

En Centre-Val de Loire, les « villes-ponts » bordant la Loire représentent des enjeux stratégiques de premier ordre en 1940, comme en 1944. Elles concentrent donc d’importantes destructions. Dans les villes étudiées ou en cours d’étude dans le contexte du programme de recherche sur la Reconstruction dans le Val de Loire1, 17 édifices ou parties d’édifices scolaires (15 publics et 2 privés) sont concernés par des opérations de reconstruction, dont 4 écoles maternelles et 9 écoles primaires2. Dans un souci de cohérence du corpus, nous nous concentrerons ici sur ces édifices du premier degré. Dans les villes du Val de Loire étudiées, ce sont donc 13 écoles qui sont concernées à Gien, Sully-sur-Loire, Châteauneuf-sur-Loire, Orléans, Blois et Tours. L’étude de cette production spécifique nous permet de nous interroger sur la part de continuité ou de rupture avec la production architecturale scolaire de la période précédente de l’entre-deux-guerres, tant du point de vue de l’implantation de l’école que de son architecture.

Contexte historique

Après la première vague massive de constructions d’écoles par les municipalités, liée notamment aux lois Ferry de 1881 et 1882 (relatives à la gratuité de l’enseignement primaire et à l’obligation de scolarité pour les enfants de 6 à 13 ans), la période de l’entre-deux-guerres en France a également vu les programmes d’architecture scolaire se multiplier. Pendant celle de la Reconstruction (de 1940 aux années 1950), le nombre d’écoles construites est également très important, résultat conjugué des destructions liées à la guerre, d’un exode rural toujours plus conséquent et de l’explosion démographique du baby-boom3. Le travail de recherche en cours ne s’intéresse toutefois pas à toute la production architecturale de cette période, mais uniquement à celle produite dans le contexte administratif de la reconstruction des édifices au moyen de dommages de guerre.

De l’école au groupe scolaire : l’implantation de l’école dans la ville reconstruite

Les chantiers de la Reconstruction permettent dans la majorité des cas de constituer des groupes scolaires réunissant en un même lieu école maternelle et/ou écoles primaires de filles et de garçons jusqu’ici réparties en différents lieux dans les centres-villes. Ceux-ci sont édifiés sur de larges parcelles situées non loin de leur emplacement initial, correspondant soit à des terrains libérés du fait des destructions, soit à des terrains de compensation cédés par l’État. À Tours, par exemple, où sont détruites les écoles primaires Victor-Hugo (de garçons) et de la rue Voltaire (de filles), ainsi que l’école maternelle Voltaire, il est décidé de rebâtir un grand groupe scolaire sur le terrain de compensation libéré par l’ancienne manutention militaire le long des quais4. Seule la Ville d’Orléans fait ici figure d’exception ayant choisi de reconstruire les deux écoles primaires de garçons dites de la rue des Charretiers et de la rue de l’Université sans constituer de groupe scolaire.

Vue d’ensemble du groupe scolaire prise depuis la place Aristide-Briand au sud (Châteauneuf-sur-Loire, Loiret). © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo

En matière d’implantation des bâtiments, alors que les écoles de la première génération (avant 1914) présentaient généralement un parti plutôt classique avec des bâtiments sur rue à l’alignement se fondant dans le paysage urbain, certaines de celles de l’entre-deux-guerres commencent à présenter des plans plus variés signalant de manière plus affirmée l’édifice scolaire dans la ville. Pour la période de la Reconstruction, on constate la même diversité de plans, le choix de l’implantation des bâtiments s’adaptant au contexte urbain et à la surface disponible. Ainsi, dans l’exemple du groupe scolaire de Châteauneuf-sur-Loire, l’urbaniste en chef Jean Royer fait certes le choix d’une implantation à l’alignement pour les deux écoles primaires (architecte : Paul Winter), mais il inscrit l’édifice dans un motif plus large, celui du débouché de la rue Albert-Viger et de la place Aristide-Briand qui ouvre ensuite sur le parc du château. L’ensemble structure cet espace central et participe à la théâtralisation de ce côté nord de la place.

La production architecturale scolaire de la Reconstruction dans le Val de Loire s’inscrit pour partie dans la continuité de la période précédente en cherchant à signaler ces maisons-écoles dans le paysage urbain. La seule différence notable tient au choix majoritaire de constituer des groupes scolaires.

Les programmes architecturaux : matériaux et distribution

Les matériaux employés et leur mise en œuvre en façade jouent également un rôle de signal de cette architecture scolaire dans le contexte urbain. Dans la période précédente, l’utilisation de plus en plus importante du béton a permis d’ouvrir plus largement les façades et de créer des espaces moins cloisonnés à l’intérieur. Elle a également conduit à la construction d’écoles employant un vocabulaire formel résolument plus moderne5 qu’à l’époque précédente, même si on trouve aussi des réalisations aux formes plus classiques empreintes de références régionalistes (groupe scolaire Jules-Ferry à Fleury-les-Aubrais, auteur inconnu, 1932).

On retrouve ces caractéristiques dans l’architecture scolaire de la Reconstruction. Ainsi, dans le Val de Loire, les écoles reconstruites présentent de larges baies vitrées. En matière de dessin d’ensemble toutefois, les exemples de notre corpus tendent à adopter des formes plus classiques marquées notamment par l’usage de toitures à longs pans et croupes en ardoise qui évoquent des formes plus régionalistes. L’usage des matériaux tend à renforcer cette perception. En effet, si le béton et la maçonnerie de moellons enduits sont utilisés en gros œuvre, des revêtements en brique ou moellons équarris viennent ensuite animer les façades, de même que les encadrements des baies de section rectangulaire en brique (Sully-sur-Loire, Châteauneuf-sur-Loire, école primaire à Blois) ou béton (école maternelle à Tours, Gien, école de la rue des Charretiers à Orléans). À Tours, le bâtiment du groupe scolaire situé sur le quai André-Malraux présente un revêtement en pierre, comme les autres immeubles reconstruits du front de Loire bordant la place Anatole-France.

Vue d’ensemble de l’école primaire Victor-Hugo (Blois, Loir-et-Cher) (c) Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Pierre Thibaut

En matière de distribution des bâtiments, la période de la Reconstruction s’inscrit dans la lignée de la précédente pour une raison très simple : alors que pour la forme générale de l’édifice ou encore les matériaux employés, l’architecte peut trouver à s’exprimer, il est contraint, pour la distribution des espaces intérieurs, par les instructions de l’administration de l’Éducation nationale datant de 1936. Même si celles-ci n’ont pas de caractère obligatoire, on constate qu’elles sont très largement suivies. Elles prévoient des classes rectangulaires au sein desquelles la surface par élève est de 1,50 m² et portent une attention importante à la question du bruit et de sa transmission, à l’aération des locaux ou encore à leur luminosité. De nouvelles instructions sont définies en août 1949 visant à « une fonctionnalité économique des bâtiments » dans le contexte des multiples chantiers à mener. On voit notamment disparaître salles de douches et salles communes, jugées non essentielles à un programme scolaire. Finalement, ce n’est qu’avec la période suivante, celle qui voit notamment s’industrialiser le monde de la construction, qu’on constatera des évolutions significatives en matière d’architecture scolaire.

Les maisons-écoles de la période de la Reconstruction dans le Val de Loire ne s’inscrivent donc pas en rupture de la période précédente de l’entre-deux-guerres. Pour autant, sur le territoire étudié, elles apportent des éléments relativement nouveaux en matière d’implantation du bâti, de dessin des façades (grandes fenêtres, hautes baies fermées de pavés de verre par exemple) ou encore de matériaux (recours plus large au béton). L’intérêt de ces édifices est reconnu, comme en témoigne le label « Architecture contemporaine remarquable » attribué à plusieurs des écoles étudiées dans le contexte de l’Inventaire général du patrimoine culturel6.

Florence Cornilleau, chercheuse au service patrimoine et inventaire de la Région Centre-Val de Loire

1Gien, Sully-sur-Loire, Châteauneuf-sur-Loire, Orléans, Blois et Tours.
2Parmi les édifices entièrement reconstruits, on compte : l’école maternelle du Centre et le pensionnat Sainte-Marie (devenu collège Saint-François-de-Sales) à Gien ; les écoles maternelle et primaires (une de filles et une de garçons) à Sully-sur-Loire ; l’école primaire de garçons, devenu collège Jean-Joudiou, et l’ancienne école primaire de filles à Châteauneuf-sur-Loire ; l’école primaire de garçons Jean-Zay et l’ancienne école primaire de garçons dite de la rue de l’Université (détruite) à Orléans ; les écoles maternelle Les Remparts et primaire de filles Victor-Hugo à Blois ; les écoles maternelle et primaires (une de filles et une de garçons) Anatole-France et le lycée professionnel privé St-Martin à Tours. Le collège Augustin-Thierry de Blois, devenu lycée, et l’école primaire supérieure de garçons d’Orléans ont quant à eux été délocalisés dans un premier temps dans des locaux préexistants : ceux d’un hôpital psychiatrique à Blois et ceux de l’école primaire supérieure de jeunes filles à Orléans. Dans les deux établissements, ce sont donc d’abord des travaux relativement modestes qui sont menés avant que des chantiers de plus grande ampleur ne soient entrepris dans les deux décennies suivantes.
3Environ 641 000 naissances en 1945, puis 840 000 en 1946, puis ensuite 850 000 par an jusqu’en 1965. Chiffres donnés par Michel Lainé dans son ouvrage de 1996 sur « Les Constructions scolaires en France » (éditions PUF, Paris, p. 180) qu’il emprunte aux travaux de P. Chevallier, B. Grosperrin et J. Maillet, « L’enseignement français de la Révolution à nos jours » (éditions Mouton, Paris, 1968).
4Voir les dossiers d’inventaire consacré à cet ensemble sur PERCEVAL : groupe scolaire ; école primaire et collège ; école maternelle.
5En région parisienne, on peut citer par exemple le groupe scolaire Marius-Jacotot à Puteaux par Jean et Edouard Niermans, 1934-1938 ou le groupe Jean-Jaurès au Pré-St-Gervais par Félix Dumail, 1932-1934.
6C’est le cas par exemple du groupe scolaire Anatole-France de Tours, du groupe scolaire Victor-Hugo – Les Remparts de Blois et du groupe scolaire du centre de Sully-sur-Loire.

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