Nicolas Lorin, créateur, en 1863, des célèbres ateliers de vitraux chartrains avait une politique commerciale très dynamique grâce, notamment, aux nombreuses expositions où il montrait le meilleur de son savoir-faire. L’étude d’inventaire en cours sur cet atelier et le dépouillement des archives nous en disent plus à ce sujet.
L’atelier de vitraux Lorin a été fondé à Chartres en 1863 par Nicolas Lorin (1833-1882). Dès la fin des années 1860, celui-ci s’attache à faire connaître son établissement au plus grand nombre en présentant ses œuvres au cours d’expositions locales (Chartres, Orléans), nationales ou internationales (Paris, Rome, Vienne, Sydney…). Chaque exposition, quelle que soit son ampleur, est l’occasion de se montrer et de remporter de nouveaux chantiers. Les listes des œuvres présentées lors des expositions montrent que certains vitraux étaient destinés exclusivement à ces manifestations (figure 2) et que d’autres sont des verrières de commandes présentées avant leur pose dans leurs édifices de destination : certains vitraux de l’église Saint-Sauveur de Lille (Nord), de l’église de Saint-Mihiel (Meuse) et de la cathédrale de Vienne (Autriche) sont notamment exhibés lors de l’exposition universelle de 1878 à Paris.
Au XIXe siècle, la présentation matérielle des vitraux lors des expositions soulève différentes problématiques, la nature même du vitrail n’étant pas véritablement prise en compte par les organisateurs des manifestations. Lors de l’exposition universelle de 1867, l’installation fut « déplorable. On plaça les œuvres (…) à une hauteur excessive dans le vestibule d’honneur du Palais du Champ de Mars et les rayons solaires frappèrent leur face intérieure de manière à empêcher de les voir pendant l’après-midi entier »1. En outre, d’autres vitraux placés trop bas furent brisés par les visiteurs2 . Pour l’exposition universelle de 1878, le peintre-verrier Edouard Didron demande la construction d’une galerie spécialement conçue pour les vitraux avec des baies biens éclairées et suffisamment grandes mais, faute de financement, le projet n’aboutit pas. Deux peintres-verriers, Nicolas Lorin et Charles-François Champigneulle, décident alors de faire construire à leurs frais leur propre pavillon pour présenter correctement leurs verrières3. Cette alternative, rendue possible grâce aux moyens financiers conséquents dont disposent ces deux ateliers, leur octroie une place privilégiée qui n’est guère appréciée des autres verriers.
Jusqu’à aujourd’hui personne n’avait connaissance de l’apparence du pavillon Lorin de l’exposition universelle de 18784 . Une photographie récemment retrouvée dans les archives de l’atelier comble dorénavant cette lacune (figure 3). Ce cliché n’est pas signé mais il est très probable que ce soit le célèbre photographe Nadar qui en soit l’auteur. C’est en tout cas ce que suggère l’inscription « 2 phot. Nadar Pavillon » dans un carnet récapitulant les expéditions de l’atelier5 . Cette image montre un bâtiment en pierre placé à l’extrémité sud-est du Champs de Mars, près de l’École militaire (que l’on voit au fond à droite de l’image). L’édifice est composé de deux parallélépipèdes dont le plus élevé mesure sans doute une dizaine de mètres de hauteur. Chaque face ouvre sur de nombreuses baies de différents styles. Le bâtiment porte l’inscription « Vitraux d’Art N. Lorin, peintre-verrier à Chartres ».
Pour la conception de son pavillon, Nicolas Lorin fait appel à l’architecte parisien Eugène Dupuis (1839-1917) dès la fin de l’année 1877. Il lui demande de ne pas dépasser la somme de 10 000 F pour sa réalisation et de 1 000 F pour le démontage et l’expédition des matériaux à l’entrepreneur à la fin de l’exposition. Le 30 mars 1878, Nicolas Lorin confie ses espoirs à Eugène Dupuis : « Je compte sur un succès. Votre pavillon se prêtera merveilleusement à une installation de premier ordre ». Un mois plus tard il précise : « Ma crainte est de ne pas amener mes vitraux à la hauteur du style de votre cathédrale. Je buche, nous buchons comme des enragés (les gros morceaux néanmoins sont expédiés »6. Un courrier écrit à Nicolas Lorin par un entrepreneur de couverture et plomberie à Paris nous apprend le 25 mars 1879 (quatre mois et demi après la clôture de l’exposition) que la démolition du pavillon a déjà été effectuée7.
Le pavillon Lorin ne passe pas inaperçu à l’exposition universelle. Le 9 août 1878, le peintre Jules Lefebvre (Grand Prix de Rome) écrit à Nicolas Lorin : « Je viens de visiter encore une fois les superbes vitraux que vous avez exposés au Champs de Mars et je ne puis résister plus longtemps au désir que j’ai de vous en exprimer toute ma satisfaction8 » . Plusieurs articles relèvent le caractère exceptionnel de l’exposition proposée par Nicolas Lorin mais sans doute les visiteurs sont, pour beaucoup, autant impressionnés par la profusion et le grandiose de la présentation que par la qualité des oeuvres exposées. On notera en particulier le texte de J. de Sacy qui écrit9 : « au Champ-de-Mars, une exposition considérable vient de s’ouvrir à proximité de l’Ecole militaire (…). M. Lorin peintre-verrier à Chartres soumet au jugement du public une suite de verrières aussi remarquables par leur valeur artistique que par leurs dimensions. (…) La première verrière qui frappe les yeux du visiteur dans la chapelle où M. Lorin a réuni 20 œuvres, est une page magistrale, dans le style du treizième siècle, destinée à l’église de Saint-Mihiel. […] L’exposition de cette année consacrera définitivement, nous en sommes convaincus, la réputation du peintre-verrier chartrain ». Le pavillon Lorin est fréquenté par des personnalités10 telles que l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, le peintre Gustave Boulanger, l’archevêque et l’architecte de la cathédrale de Saïgon : cette double visite n’est sans doute pas étrangère à la commande à l’atelier chartrain des verrières de ladite cathédrale durant l’été 1878. Le pavillon est démonté en décembre 187811.
En 1880, Nicolas Lorin présente encore ses œuvres dans un pavillon particulier à l’exposition industrielle et commerciale de Bar-le-Duc (Meuse). Il y expose une douzaine de verrières ainsi que des photographies, des cartons à échelle d’exécution et des maquettes. Un photographe de Bar-le-Duc a immortalisé ce pavillon qui est beaucoup plus modeste que celui de Paris. Mesurant approximativement sept mètres de haut et une douzaine de m² au sol12 (figure 4), il semble construit en pans de bois et présente une toiture couverte en tuiles et ornée de lambrequins. L’édifice porte l’inscription : « Lorin vitraux Chartres ». Le rideau fixé à l’entrée permettait de faire l’obscurité dans le pavillon pour mieux voir les vitraux. L’homme debout à droite devant le pavillon pourrait être Nicolas Lorin. L’édifice est vendu à la fin de l’exposition13.
L’année suivante, lors des préparatifs de l’exposition des Beaux-Arts organisée à Tours en 1881, Nicolas Lorin insiste fortement auprès de l’organisateur, Félix Laurent, pour présenter à nouveau ses vitraux dans un pavillon individuel. Il ne peut se permettre d’être absent de cette manifestation et laisser toute la place à son concurrent Lucien-Léopold Lobin. Devant des délais trop courts, il finit par renoncer à son pavillon et à accepter le placement de ses vitraux dans un petit salon, en compagnie des œuvres du peintre-verrier Oudinot14.
Il semble qu’après le décès de Nicolas Lorin en 1882, l’atelier de Chartres renonce à faire élever de nouveaux pavillons particuliers dans le cadre des expositions. Sa veuve, Françoise Dian, présente cependant en 1883-1884 à Nice une œuvre très remarquée, le « Char du Soleil », dont la taille déjà inhabituelle (demi-lune de 12 mètres de diamètre) sera encore agrandie pour l’Exposition universelle de 1889 à Paris. Certains grands ateliers de vitraux présenteront encore leurs oeuvres dans des pavillons particuliers au cours des premières décennies du XXe siècle, notamment la maison Mauméjean lors de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 à Paris15 .
Valérie Mauret-Cribellier
Chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
1 Conditions de présentation des vitraux lors de l’exposition de 1867 rapportées dans : Revue des Arts décoratifs, 1889, numéro consacré à l’exposition de 1889, p 140-141.
2 Didron, Édouard, Les vitraux à l’Exposition universelle de 1867, 1868, Paris, p 5.
3 Luneau (J-F.), Félix Gaudin peintre-verrier et mosaïste (1851-1930), Clermont-Ferrand, 2006, p 79.
4 Exposition universelle de 1878, Paris, 1er mai au 10 novembre 1878.
5 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : 14 II/482 : carnet intitulé « Postes » à la date du 11 février 1879.
6 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : 14 II/1. Correspondances 1877-1878.
7 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : correspondances de 1879.
8 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : document non coté au moment de la consultation.
9 Sacy (J. de), « La Peinture sur verre à l’exposition, les vitraux de M. Lorin », Extrait Journal officiel de la République française, 25 juin 1878, n° 172, pages 7039-7040.
10 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : 16 II/3.
11 Archives Lorin : non coté : correspondances 1878-1879 : le 15 décembre, Nicolas Lorin demande à son représentant Lumière d’aller « jeter un coup d’œil » au pavillon en cours de démontage.
12 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : document non coté au moment de la consultation.
13 Archives municipales de Chartres : Archives Lorin : correspondances 1881. Courrier du 21 janvier 1881 de J. Elardin (vitrier à Bar-le-Duc et ancien employé de Lorin) à Nicolas Lorin.
14 Archives municipales de Chartres : Archives atelier Lorin : correspondances 1881.
15 Manauté (Benoit), « Flambe ! illumine ! Embrase ! La place de la manufacture de vitrail et mosaïque d’art Mauméjean dans le renouveau des arts industriels franco-espagnols (1862-1957), doctorat sous la direction de Dominique Dussol, 2012, Université de Pau et des Pays de l’Adour, tome 1, page 83.