L’étude des vitraux du département de l’Indre a révélé l’importance des créations du XXe siècle, en particulier durant la période « Art déco », c’est-à-dire pendant l’entre-deux-guerres, importance dont témoignent des ensembles majeurs, comme les verrières des églises Saint-Christophe de Châteauroux (L. Balmet, 1925 à 1936) ou Saint-Laurian de Vatan (L. Gouffault, 1935). En revanche, le recensement des verrières en Indre-et-Loire ne fait pas ressortir de tels ensembles. L’emploi même du style Art déco dans les verrières de cette période semble plus limité, au profit d’un académisme toujours très présent.
Après le choc de la Première Guerre mondiale, le grand défi pour les artistes a été de faire sortir les arts religieux d’une interprétation systématique des styles du passé, ce qui était la norme tout au long du XIXe siècle, allant du néo-gothique au néo-Renaissance, en passant par le néo-roman, a fortiori dans l’art du vitrail, particulièrement lié à l’architecture des édifices « hôtes ». Si, autour de 1900, l’Art Nouveau propose déjà une expérience novatrice dans ce domaine, en se référant plutôt à la nature, ce mouvement a peu touché le vitrail religieux. Il faut attendre 1925 et l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris pour voir triompher une esthétique nouvelle, qui se caractérise par l’emploi de formes géométriques, de couleurs franches, et surtout un refus des références explicites au passé, au répertoire ornemental traditionnel. Il s’agit également de s’éloigner de tout académisme, allant même jusqu’à l’abandon de la perspective.
Alors que la Touraine a été un important foyer de redécouverte de l’art du vitrail dès le milieu du XIXe siècle, elle n’apparaît plus, durant l’entre-deux-guerres, comme étant en pointe en termes de création et d’innovation. Ceci est probablement dû à la présence du principal atelier local, celui de Lucien-Ernest Fournier (1868-1962), dit « Lux Fournier », successeur de son père Julien Fournier (1835-1904), lui-même élève de Julien-Léopold Lobin (1814-1864). Lorsqu’on se réfère aux opinions exprimées par Lux Fournier à propos de l’évolution du vitrail durant cette période, on comprend que cette filiation, à la fois personnelle, professionnelle et artistique, a pu constituer un frein à une arrivée précoce de la modernité aux fenêtres des églises tourangelles. Dans l’ouvrage intitulé L’art du vitrail, des premiers vitraux connus jusqu’au vitrail moderne, qu’il publie en 1932 (fig.1), on peut en effet lire :
« Il faut convenir que l’Art Moderne prend une place de plus en plus importante dans la décoration de nos édifices et particulièrement de nos églises. À notre avis, cela serait parfait si on se contentait de décorer en style moderne, des églises modernes, ou si on harmonisait le style dans la manière de celui de l’édifice. Mais on abuse parfois, car on en arrive à décorer une église du style XVe flamboyant avec des vitraux nettement modernes, plus ou moins cubistes. Cela n’est pas encore le pire. Certains peintres-verriers ont cru devoir exécuter des vitraux dans une manière qui n’a rien du beau style moderne si excellement décoratif et qui ne sont qu’une grossière parodie du style Moyen Âge, n’ayant de cette époque aucune de ses remarquables qualités : coloris très étudié, malgré la modicité des ressources d’alors, dessin d’un caractère très spécial et d’une émouvante expression dans sa naïveté. […] Il est temps de remédier à cet état de choses, si nous ne voulons pas voir tous nos monuments envahis par ces vilaines œuvres. L’Art Moderne ne doit pas forcément être grotesque et laid… » (op. cit., p. 20-22).
Plus loin, il considère le « style 1925 », qu’il reconnaît comme étant « l’épanouissement du véritable style moderne », déjà passé de mode et perdu « dans un brouillard lointain ». Comme seul exemple de son conservatisme, nous citerons les verrières qu’il réalise en 1926 et 1933 pour l’église de Luzillé (fig.2).
Le style Art déco est cependant bien présent en Touraine, grâce à des ateliers extérieurs, auxquels des commanditaires désireux d’un certain renouveau ont su faire appel. Une rare verrière de Jacques Grüber, sur le thème de La Montée au Calvaire et de La Crucifixion, a ainsi pu être repérée à Azay-le-Rideau (avant 1936) (fig.3). À Restigné, Jean Gaudin signe en 1935 une série de trois verrières dédiées à la vie de saint Martin, sur des cartons de Jacques Le Breton.
Outre les ateliers parisiens, plusieurs ateliers régionaux plus en phase avec les tendances nationales et internationales qui caractérisent alors l’art du vitrail, sont présents en Touraine. Les Angevins Georges Merklen ou Maurice Bordereau ont pu être identifiés à Parçay-Meslay, Sonzay ou Channay-sur-Lathan. Julien Chappée, actif au Mans, réalise une Charité de Saint-Martin à Saint-Aubin-le-Dépeint (1926). Fondé à Orléans en 1931, l’atelier de Louis Gouffault est présent en Touraine dès 1934 (Monthodon, Orbigny, etc.)
À Tours, Lux Fournier n’a pas été le seul peintre-verrier actif pendant cette période. Il faut en effet noter l’installation, en 1934, du peintre Maurice Buffet (1909-2000), originaire de Vendée. Maurice Buffet quitte cependant la ville dès 1937 pour se fixer à Sèvres. Il se consacre alors à sa carrière de peintre. On lui doit une verrière dédiée à saint Martin dans l’église de Monnaie (1935) (fig.4), et deux autres dans la chapelle de l’Institution Saint-Martin, à Tours.
C’est finalement après la Seconde Guerre mondiale que l’Art Déco se déploie plus franchement dans les églises de Touraine. Francis Chigot, de Limoges, intervient à Preuilly-sur-Claise (1946) et à Civray-de-Touraine (1952). À Saint-Symphorien de Tours, une verrière représentant saint Martin et saint Barthélemy est signée « Dupleix et Bidault, à Paris » (1947). Ces verrières possèdent encore toutes les caractéristiques des décennies précédentes.
Lux Fournier, un temps associé à son fils Pierre-Lux, qui quitte l’atelier de son père en 1949 pour rejoindre celui de Max Ingrand, semble s’ouvrir à la modernité à 75 ans passés, comme on le voit à la façade de l’église de Montlouis (fig.5), dans la chapelle de l’ancienne clinique Saint-Augustin de Tours, ou encore à l’église de la Sainte-Famille, à Tours également. Ces créations, que l’on pourrait qualifier d’Art déco tardif, cohabitent alors avec celles de Jacques Le Chevallier à Saint-Julien de Tours, et celles de Max Ingrand dans ce même édifice et de nombreux autres en Indre-et-Loire (Amboise, Chenonceaux, Bléré, Azay-le-Rideau, Descartes, Ballan-Miré, etc.). Nous sommes alors à l’ère de la Reconstruction, qui constitue une nouvelle étape dans l’introduction de la modernité dans l’art du vitrail.
En conclusion, il est évident que l’Art déco est un rendez-vous manqué pour les ateliers tourangeaux, qui n’ont pas permis à ce style caractéristique de l’entre-deux-guerres de s’épanouir pleinement. Maurice Buffet, qui a été le seul artiste à proposer localement des créations typiquement Art déco, ne réussit pas à s’implanter durablement à Tours. Cependant, le recensement exhaustif révèle une multiplicité d’interventions qui prouvent que ce territoire n’a pas été hostile à la modernité, mais il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour qu’il l’accueille de manière plus évidente.
Olivier Geneste (Association Rencontre avec le Patrimoine religieux, Châtillon-sur-Indre), chercheur associé au Service Patrimoine et Inventaire.
En savoir plus :
Recensement et étude des verrières de la région Centre-Val de Loire, conduit par Olivier Geneste depuis 2006.
Bibliographie :
-FOURNIER, Lux. L’Art du vitrail. Des premiers vitraux connus jusqu’au vitrail moderne. Tours : Imprimerie Tourangelle, 1932.
-GENESTE, Olivier. Fournier et associés. Un siècle de création verrière à Tours. Rencontre avec le Patrimoine religieux, 2016.
-GENESTE, Olivier. Le vitrail en Touraine au XIXe siècle. Un foyer de création. Lyon : Lieux-Dits, 2022 (Images du patrimoine, n°318).
-HÉROLD, Michel, DAVID, Véronique (dir.). Vitrail, Ve-XXIe siècle. Paris : Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, 2014.