Pour reprendre l’expression chère aux spécialistes de l’Inventaire ou des Monuments Historiques : parce qu’il n’est plus « dans son jus » ! La petite forteresse médiévale de Néons a, hélas, été trop remaniée. Les coupables, oserions nous dire : la famille du Trochet qui en prend possession au 17e siècle. Coupables, c’est vite dit car plutôt que de faire table rase et de reconstruire une gentilhommière à la mode, les nouveaux seigneurs de Néons préfèrent se consacrer à développer leur exploitation agricole et simplement réaménager l’ancienne résidence.
Le château de Néons, implanté dans le bourg de Néons-sur-Creuse, en limite du département de l’Indre, relevait autrefois de la baronnie poitevine d’Angles. En 1371, le Roi Charles V le confisque aux Anglais. L’ancien château-fort se devine sans difficulté dans l’édifice actuel avec son corps de logis principal encadré de tours à toit en poivrière. Les transformations dont il a fait l’objet, aux 17e-18e siècles, sont multiples. La plus significative est le réaménagement des baies. En effet, selon les canons « baroques » de l’époque, on a fait entrer la lumière par le percement de grandes et nombreuses fenêtres. L’entrée principale est alors modernisée en l’habillant de pilastres et d’un fronton d’inspiration classique.
Mais il semble que l’attention des propriétaires de l’époque se soit plutôt portée sur la construction (ou la reconstruction ?) des communs du château et de sa ferme. Il ne reste qu’un seul bâtiment de cette période, appelé “bâtiment vinicole”. Celui-là est bien « dans son jus » mais cela n’a rien à voir avec la présence d’un ancien chai et d’un pressoir à vin au rez-de-chaussée ! La plate-bande de l’entrée centrale porte l’inscription : RLO 1740 DT c’est à dire les initiales de René Louis Ovide du Trochet accompagnées de la date de construction. Pourtant, la mise en œuvre de sa charpente (fermes à chevrons-arbalétriers et jambes-de-force) a été datée par dendrochronologie du printemps 1743. Comment expliquer ce léger décalage entre les deux dates ? Le maçon aurait-il achevé son travail longtemps avant le charpentier ? La date portée marque-t-elle plutôt le début du réaménagement de l’ensemble des bâtiments agricoles ?
Ce bâtiment “vinicole” n’avait sûrement pas, à l’origine, la fonction qu’on lui attribue aujourd’hui. Il servit d’abord de grenier : ses vastes comble et étage permettaient d’entreposer le grain produit dans le domaine utile et les taxes seigneuriales payées en nature par les habitants du fief de Néons.
La ferme actuelle a été en grande partie reconstruite au milieu du 19e siècle mais son plan d’origine et son implantation par rapport au château trahissent toute l’importance que revêtait l’exploitation agricole au sein du domaine au 18e siècle. La disposition des bâtiments implique que le visiteur, pour accéder à la résidence seigneuriale, doit obligatoirement traverser la cour de la ferme. Ainsi, depuis l’entrée à portail du domaine, le château de Néons est, par un jeu de perspective, visible au fond des deux cours. Deux cours, oui, car ne mélangeons pas les torchons et les serviettes ! Si toute l’attention des sieurs de Néons est portée sur l’exploitation de la terre, la partie résidentielle, noble, et ses communs, d’une part, et la partie agricole, d’autre part, sont bien individualisées, séparées par un fossé maçonné où coulent des eaux vives. Notons que le grenier a été placé dans l’espace des communs, au plus près de la maison du propriétaire.
Inclassable au titre des Monuments Historiques ? L’avenir nous le dira. La propriété du château de Néons n’en demeure pas moins un bel ensemble architectural où transparait ici et là l’idée, moderne pour l’époque, que le bâti agricole doit être autant mis en valeur que le foyer des élites. De là à reconnaître une conception chère au mouvement, naissant, des physiocrates, il n’y a qu’un pas que nous ne nous permettrions pas de franchir…
Renaud Benarrous, chercheur associé au SPI et chargé d’études Inventaire du patrimoine bâti au Parc naturel régional de la Brenne.