L’apport de la dendrochronologie dans l’étude de trois manoirs de la vallée de la Berthe (Eure-et-Loir)

Publiée le 22 mars 2021

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Vue paysagère de la vallée de la Berthe, entre Trizay-Coutretôt-Saint-Serge et Vichères (Eure-et-Loir) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard

Les communes de Trizay-Coutretôt-Saint-Serge et de Vichères ont fait l’objet d’un inventaire de leur patrimoine bâti dans le cadre de l’étude de l’architecture rurale du Parc naturel régional du Perche. Le plateau bocager de ce secteur situé au sud-est de Nogent-le-Rotrou est marqué par un paysage bucolique de collines et de vallons qui rejoignent la vallée de la Berthe, affluent de l’Huisne. L’histoire des anciennes paroisses de Trizay, de Coutretôt, de Saint-Serge et de Vichères est liée à celle de Nogent qui fut la capitale du comté du Perche dès la fin du XIe siècle. Les comtes du Perche y ont installé des seigneurs vassaux à la fois pour mettre en valeur les terres et défendre la vallée. Plusieurs châteaux ou manoirs sont alors construits de manière à surveiller la vallée pour prévenir d’éventuelles attaques. Pour cela, ils dominent la Berthe et la jalonnent sur tout son cours. Tous les édifices médiévaux sont détruits pendant la guerre de Cent Ans mais l’occupation de ces lieux de pouvoir perdure. Dès la fin du XVe siècle et tout au long du XVIe siècle, la reconstruction s’enclenche dans les campagnes, favorisée par la paix retrouvée et un contexte socio-économique favorable. Parmi les manoirs reconstruits, ceux du Grand Plessis, de Miermaux et de la Manorière ont fait l’objet d’une étude dendrochronologique de leurs charpentes et planchers. Cette méthode de datation du bois, basée sur l’analyse des cernes de croissance, permet de dater l’abattage des arbres employés dans les constructions anciennes. Le bois étant utilisé « vert », on peut estimer la mise en œuvre à l’année suivante ou celle d’après.

Localisation des manoirs du Plessis, de Miermaux (Trizay-Coutretôt-Saint-Serge) et de la Manorière (Vichères) – Fond : extrait de la carte du canton de Nogent-le-Rotrou dressée en 1839 par Fulgence Czerwinski (Archives départementales d’Eure-et-Loir, 16 Fi NC 5/12).
Le Grand Plessis (Trizay-Coutretôt-Saint-Serge) – 1492d*

Ce manoir constitue l’expression la plus simple de la demeure seigneuriale : une salle au rez-de-chaussée et une chambre à l’étage accessible par une tour d’escalier hors-œuvre. Son histoire est assez méconnue, il n’en est fait mention dans les archives qu’à partir de 1644.
Une douzaine de prélèvements ont été réalisés sur diverses pièces de bois réparties entre les planchers du premier étage et du comble ainsi que la charpente de comble. L’expertise a montré qu’il s’agit d’une seule campagne de construction située vers 1493-1494 – la conservation de trois aubiers complets précisant un abattage au cours de l’année 1492d.

Vue générale du manoir du Grand-Plessis depuis le nord-ouest à Trizay-Coutretôt-Saint-Serge © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Parc naturel régional du Perche, Florent Maillard
Miermaux (Trizay-Coutretôt-Saint-Serge) – automne – hiver 1572/73d

Atypique, ce manoir l’est à bien des égards :
– Par sa situation, Miermaux est implanté en fond de vallée. Cette position peu stratégique et défensive s’explique par la présence d’une ancienne affinerie en activité en 1548 et qui était alimentée en fonte par le haut fourneau de la Sohorie à quelques centaines de mètres en amont.
– Par sa construction tardive comme le montre son plan : la tour d’escalier est dans-œuvre, une cuisine et des caves occupent l’étage de soubassement tandis que deux grandes salles et une chambre de domestique sont au rez-de-chaussée surélevé et une chambre seigneuriale à l’étage entresolé.
– Par son propriétaire dès 1604, Robert Maugars, riche bourgeois qui parvient dès 1620 à la noblesse en achetant une charge de conseiller du roi et qui, à l’instar des grands seigneurs locaux, tente de se constituer un domaine foncier autour de Miermaux en acquérant la terre de la Gadelière.
– Par son décor sobre mais raffiné d’influence Renaissance : une travée d’ouverture centrale pour chaque façade, une recherche de symétrie, des chambranles moulurés ornant les baies, des tympans de la porte d’entrée et des lucarnes probablement inspirés de ceux de la maison du Bailli à Nogent-le-Rotrou.

Il subsistait une incertitude quant au commanditaire de la construction : était-ce Pierre Le Mercier, maître de forge au milieu du XVIe siècle, ou son fils Jacques ou encore Robert Maugars ? L’expertise dendrochronologique qui portait sur la charpente et les planchers du logis manorial a montré que tous les bois analysés proviennent d’une seule et même phase d’abattage située avec précision en automne – hiver 1572/73d grâce aux aubiers complets conservés sur deux pièces de la charpente. La mise en œuvre du bois – et par extrapolation, la construction du logis date ainsi de 1575 environ. Le commanditaire est donc Jacques Le Mercier qui décède vers 1604 et dont les héritiers vendent la terre de Miermaux à Maugars.

Vue générale du logis du manoir de Miermaux depuis le nord-est à Trizay-Coutretôt-Saint-Serge © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général © Parc naturel régional du Perche, Florent Maillard
La Manorière (Vichères) – 1556d, automne – hiver 1572/73d, automne – hiver 1627/28d

Les actes les plus anciens citant La Manorière datent de 1482. Ce fief dépend de la famille Therré au début du XVIe siècle. En 1539, Philippe de Certieux, sieur de Bouqueval, s’en porte acquéreur. A cette époque, la métairie se compose de maisons manables, granges, étables, terres, prés, buissons et d’un petit étang. Philippe de Certieux, et peut-être son fils Charles, modifie considérablement le site dans la seconde moitié du XVIe siècle. Tout en conservant la structure du modeste logis préexistant à deux pièces superposées desservies par une tour d’escalier hors-œuvre dont témoigne en façade sud la porte obstruée donnant accès à l’étage, il fait agrandir l’édifice vers l’est, doublant ainsi le volume initial, et il remplace la tour d’escalier hors-œuvre par un escalier dans-œuvre rampe sur rampe. Dans une seconde phase, il fait fortifier l’ensemble par la construction de deux tours d’angle, d’une troisième isolée au sud-est (fournil au rez-de-chaussée, colombier à l’étage) et d’un mur d’enceinte fermant une haute cour dont d’accès se faisait certainement au sud par un portail (détruit, ainsi que le mur).

Manoir de la Manorière à Vichères (Eure-et-Loir) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard

L’expertise dendrochronologique n’a pas réussi à déterminer la première campagne de construction de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle, aucun bois de cette époque n’étant conservé. Par contre, elle met en évidence une deuxième phase qui s’achève vers 1557-1558 concernant la reconstruction des planchers et de la charpente de comble de la partie ouest du logis, ainsi qu’une troisième vers 1573-1574 correspondant à l’agrandissement du manoir vers l’est (pièces de bois de la charpente du comble est dont l’abattage date de l’automne- hiver 1572/73d). La date portée 1578 sur l’encadrement de la porte de la tour isolée semble donc indiquer sa construction, qui s’inscrit dans cette même campagne. Plus surprenant, une autre intervention sur le manoir a pu être mise en lumière : le remplacement d’une poutre maîtresse – celle la plus à l’ouest du plancher du comble ouest – vraisemblablement réalisé vers 1629-1630.

* d= dates d’abattage obtenues par dendrochronologie

Florent Maillard, chargé de mission « Inventaire du patrimoine bâti » au Parc naturel régional du Perche

Élévation sud du manoir de la Manorière à Vichères (Eure-et-Loir) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard

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