La sucrerie de Toury (Eure-et-Loir)

Publiée le 21 février 2024

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En 2022, dans le contexte de l’étude en cours sur les fermes de Beauce, le service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire a été informé de la destruction à venir d’une grande partie du site de la sucrerie-distillerie de Toury. Une opération d’urgence1, visant à enregistrer une archive d’un ensemble bâti avant sa destruction ou sa transformation, a donc été conduite sur place à l’été 2022, alors que le site était déjà à l’arrêt. Une partie des bâtiments, de la distillerie notamment, avait été détruite, mais beaucoup de machines restaient en place dans les halles conservées. Dans le contexte de l’opération d’urgence, des recherches minimales ont été menées sans investigation dans des fonds d’archives, mais ont néanmoins permis de retracer dans les grandes lignes l’histoire de cet ensemble industriel.

Vue d’ensemble de la partie nord du site, avec, de gauche à droite : l’usine, le four à chaux, la halle de fabrication des pellets et d’anciennes halles servant d’atelier © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo. Cliquer pour agrandir l’image.
Le contexte de la création de l’usine de Toury

La fabrication à grande échelle du sucre de betterave démarre en France après la publication, en 1811 et en 1812, de deux décrets impériaux chargeant les préfets de veiller à la mise en culture des terres pour produire des betteraves sucrières dans tous les départements où la nature des sols le permet.

En 1874, Arthur Lambert (1848-1926), ingénieur en constructions mécaniques et fondateur des usines sucrières de Nangis et de Provins (Seine-et-Marne), achète des terrains à Toury et fait construire une usine sucrière qui occupe alors 3 hectares2. La qualité des sols de la Beauce bien adaptés à la culture betteravière et la présence dès 1843 d’une gare à Toury, sur la ligne de chemin de fer desservant Paris à Orléans, ont favorisé le choix du site. A partir de 1892 (et jusqu’en 1956), une ligne de chemin de fer à voie étroite concédée à la société Decauville assure la liaison entre Toury et Pithiviers (Loiret) et plusieurs producteurs de betteraves font alors installer des tronçons de voie ferrée rejoignant leur  exploitation.

Le développement du site, des origines à sa fermeture

Arthur Lambert devient une figure majeure de Toury : maire de la commune pendant 36 ans, il est également l’un des fondateurs de la distillerie de Melle (Deux-Sèvres) où sont produits en 1886 les premiers alcools neutres. Il permet à Toury d’être l’une des premières sucreries où l’on obtient du sucre blanc et de la mélasse épuisée. À la fin du XIXe siècle, son fils Maurice est associé progressivement à la direction de l’entreprise. En 1901, une nouvelle unité de traitement est installée pour la préparation du « Païl’Mel », fourrage spécial composé de paille et de mélasse utilisé pour l’alimentation des chevaux en substitut à l’avoine, puis pour tout le bétail.

Alors que l’usine produit dès la première année 5000 sacs de sucre soit environ 582 tonnes, en 1926 l’usine s’étend sur 60 ha et produit 18 200 tonnes de sucre ; entre les deux guerres, la production s’accroît encore. En 1936, l’usine fonctionne jour et nuit employant environ 700 ouvriers et jusqu’à 1000 entre septembre (récolte) et janvier (presse des betteraves). L’autorisation de créer une distillerie est délivrée en octobre 1938.

Un atelier de déshydratation des pulpes de betterave permettant d’obtenir les pellets utiles à l’alimentation animale est créé en 1970 tandis qu’en 1980 la production de sucre blanc atteint 59 000 tonnes par an et celle d’alcool 50 000 hectolitres.

La Vermandoise, entreprise sucrière française fondée en 1857, devenue en 1924 Société Vermandoise de sucreries, rachète l’usine de Toury en 1993.

Dans les années 2000, le site s’étend sur 40 hectares et l’usine traite environ 9000 tonnes de betteraves par jour3. En 2011, le groupe Cristal Union prend le contrôle du groupe Vermandoise et, en 2012, la sucrerie de Toury est intégrée au groupe Cristal Union. En avril 2019, un plan global de restructuration annonce la fermeture de l’usine sucrière. Pendant la pandémie liée au covid-19, la distillerie fabrique du gel hydroalcoolique et 128 salariés travaillent alors sur le site qui ferme définitivement le 24 juin 2020. Une partie des machines du site de Toury sont transférées sur d’autres sites du groupe Cristal Union, notamment à Pithiviers-le-Vieil (Loiret).

Une opération d’urgence pour conserver une archive photographique

Le site de la sucrerie de Toury est situé à l’est du bourg et des voies du chemin de fer reliant Orléans à Paris. À l’été 2022, il occupait encore un terrain de plus de 40 hectares. Les bâtiments de l’usine étaient regroupés le long des voies ferrées à l’ouest, tandis que des bassins de décantation, destinés à stocker une partie de l’eau utilisée pour laver les betteraves, s’étendaient sur la partie orientale de l’ensemble. Les différentes halles étaient principalement situées au nord de la cour à betteraves, grand espace vide de plus de 250 mètres de long pour environ 90 mètres de large au sud-ouest de la sucrerie. C’est à cet endroit que les tonnes de betteraves récoltées dans les environs de Toury chaque année entre septembre et décembre/janvier étaient déversées avant d’être acheminées vers le bâtiment de l’usine par un large convoyeur à bande. Prenant place sur le côté ouest du site, ce dernier abritait les premières phases de transformation de la betterave (lavage et découpage), puis toutes les étapes aboutissant à la production du sucre cristallisé (diffusion, chaulage, évaporation, filtration, cuisson, etc.). Le processus d’épuration du jus sucré explique la présence d’un four à chaux. Le bâtiment de production des pellets (dit de déshydratation) était, quant à lui, localisé un peu plus à l’est. Enfin, la distillerie où était produit l’alcool de betterave prenait place à l’est, le long de l’un des bassins de décantation. Au nord du site, mais aussi à l’est de la cour à betteraves, étaient situés différentes halles de stockage. Des cuves (à mélasse, à jus sucré, à vinasse ou encore à mazout) sont également réparties à divers endroits de la sucrerie. Enfin, une chaufferie prenait place à l’ouest du site. Au moment de l’organisation de la campagne photographique, le bâtiment abritait encore d’anciennes chaudières à mazout4.

Vue d’ensemble du convoyeur à bande et du bâtiment de l’usine prise depuis la cour à betteraves. © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Héléna Bouguet. Cliquer pour agrandir l’image.
Vue intérieure de l’usine avec les appareils de filtration au premier plan et derrière les cuves de cuites. © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo. Cliquer pour agrandir l’image.

Outre l’enregistrement d’une archive sur ce site voué à disparaître, l’un des intérêts de cette opération d’urgence a été de constater la persistance d’éléments bâtis anciens, parfois peu perceptibles de prime abord. Le parti architectural qui a prévalu à la création de l’usine en 1874 est difficile à apprécier faute d’en avoir retrouvé les plans et compte-tenu des nombreuses modifications et d’agrandissements qui ont accompagné les évolutions techniques du site. Il apparaît cependant que les constructeurs de l’usine ont fait le choix de halles de plan rectangulaire bâties sur un ou deux niveaux et juxtaposées progressivement les unes aux autres. Les plus anciens bâtiments ne sont que partiellement conservés mais permettent d’apprécier le soin apporté à leur construction : édifiés en moellon calcaire, l’emploi de la brique en chaînage d’angle, aux encadrements des baies, en bandeau décoratif sous les baies ou encore sur la corniche à modillons, témoigne d’un souci du décor que l’on n’attend pas nécessairement dans une usine. Ces bâtiments sont couverts d’une charpente métallique portant un toit d’ardoise. Deux séquences de construction sont visibles, mais difficiles à dater. Les différentes halles pourraient avoir été bâties lors de la création de l’usine au XIXe siècle ou ultérieurement, lors de la création en 1901 de l’unité de traitement liée à la production de « Païl’Mel » par exemple. Des halles à structure entièrement métallique et remplissage en brique, couvertes en tuile mécanique ont été construites ultérieurement. Enfin, les bâtiments les plus récents présentent des charpentes métalliques et des bardages de tôles.

Florence Cornilleau et Martine Lainé, chercheurs au service patrimoine et inventaire de la Région Centre-Val de Loire – avec l’aimable contribution de Bertrand Fournier, chercheur au service régional de l’Inventaire de la Région Hauts-de-France


1Pour avoir plus de renseignements sur les opérations d’urgences, voir l’article « Quand l’inventaire passe…du patrimoine on conserve une trace ! » https://inventaire-patrimoine.centre-valdeloire.fr/quand-linventaire-passedu-patrimoine-on-conserve-une-trace/
2Notice nécrologique d’Arthur Lambert. http://clio.ish-lyon.cnrs.fr/patrons/AC000009911/AC000009911Doc2650.pdf
3http://www.fildefer.net/2009/11/sucrerie-de-toury/
4Pour le détail des processus de production de la sucrerie de Toury, voir le dossier d’inventaire disponible sur la base de données PERCEVAL-Patrimoine en région Centre-Val de Loire : https://patrimoine.centre-valdeloire.fr/gertrude-diffusion/dossier/toury-sucrerie-3-avenue-de-la-sucrerie/fe295784-1791-4005-a655-91823fedc4be

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