La Reconstruction d’Orléans après la Seconde Guerre mondiale a été l’occasion de repenser l’urbanisme de la ville et de construire des logements sains et dotés de tout le confort moderne.
A Orléans, comme dans l’ensemble des villes françaises touchées par des destructions au cours de la Seconde Guerre mondiale, les urbanistes et architectes voient celles-ci comme une opportunité de mettre en pratique les théories élaborées par leurs soins depuis plus de 50 ans pour concevoir une ville et des logements modernes comprenant pièces d’eau, mais aussi chauffage central. En effet, dans les communes du Val de Loire notamment, ce sont principalement les quartiers centraux qui ont été touchés, des quartiers anciens dans lesquels la ville s’est construite sans réel schéma directeur. On y trouvait donc en 1940 des immeubles vieillissants, parfois insalubres, côtoyant des usines en plein cœur de ville, mais aussi des rues étroites et des cœurs d’îlot encombrés ne permettant ni à l’air, ni au soleil d’y pénétrer.
Les urbanistes ont ainsi supprimé des rues, en ont élargi ou créé d’autres. Ils cherchent également à dédensifier ces quartiers. De nouvelles places et de larges îlots sont alors dessinés. Les immeubles sont alignés en bord de rue, libérant en leur cœur de plus ou moins vastes espaces. Les architectes, quant à eux, ont imaginé des immeubles aux logements plus grands, bien éclairés et équipés du confort moderne (eau et chauffage à tous les étages et salle de bain/d’eau). A Orléans, les premiers îlots (n° 1, 2, 4 et 5) reconstruits à partir de 1945 au nord-ouest de la place du Martroi en sont un exemple et en conservent encore quelques traces matérielles.
Les quatre îlots cités ci-dessus font partie du premier chantier d’expérience lancé en France après la Libération. Imaginés dès l’Occupation par les fonctionnaires du Commissariat à la Reconstruction immobilière (CRI), ils doivent permettre de tester de nouvelles méthodes constructives. Ainsi, à Orléans, c’est la préfabrication qui est expérimentée pour la première fois à grande échelle pour la construction de logements. Le projet est confié à l’architecte Pol Abraham (1891-1966), nommé pour l’occasion architecte en chef de la Reconstruction de la ville.
Outre des innovations relatives à la construction du gros-œuvre, Pol Abraham expérimente également en matière de second-œuvre. Il a ainsi recours à plusieurs dispositifs présentés lors de concours techniques organisés par le CRI à partir de 1943. Parmi ceux-ci, on peut citer le système « Bloco » conçu par la société Chaffoteaux & Maury. Il s’agit d’une gaine technique standardisée produite en usine et montée sur le chantier entre les deux pièces d’eau du logement : la cuisine et la salle de bain. Sur cette gaine, un module en fer et tôle est installé et sert à accueillir notamment le lavabo de la salle de bain. Ce dernier, ainsi que les autres appareils sanitaires (toilettes, baignoire), mais aussi des éléments mobiliers (modules de cuisine, armoire à pharmacie avec miroir), sont fabriqués en série et viennent compléter l’aménagement de ces pièces1. Les appartements de la Reconstruction sont donc très bien équipés pour l’époque. En effet, en 1946, seuls 37 % des logements français sont alimentés par l’eau courante et seuls 5 % d’entre eux comportent une salle de bain2.
Concernant le chauffage, il est encore, avant-guerre, principalement individuel et généralement produit par les cheminées et autres poêles. Quelques expériences de chauffage collectif3 et urbain4 ont été menées au début du 20e siècle, mais elles restent limitées avant la seconde moitié du 20e siècle et la période des Trente Glorieuses. Ainsi, on estime que seuls 10 % des logements français bénéficient du chauffage central en 19545. A Orléans pourtant, avant même la création du réseau de chauffage urbain au début des années 1960, la construction d’une chaufferie desservant les îlots 1, 2, 4 et 5 est prévue dans le cadre du chantier d’expérience. D’autres îlots reconstruits sont ensuite raccordés à celle-ci. Edifiée en 1946-47 en sous-sol de l’îlot 4, elle ne fonctionne plus aujourd’hui que comme une sous-station du réseau de chauffage urbain géré par la Société orléanaise de distribution de chaleur (S.O.D.C.). Elle constitue toutefois une trace matérielle de cette histoire spécifique.
Construite sur trois niveaux en sous-sol, la chaufferie de l’îlot 4 a subi d’importantes modifications au fil des décennies. Ainsi, aucune des 12 chaudières (à mazout ou à charbon) ayant alimenté en chauffage de nombreux immeubles du centre-ville d’Orléans n’est aujourd’hui conservée dans cet espace qui fait figure de cathédrale souterraine. Toutefois, d’anciens panneaux de contrôle sont restés en place et nous permettent, en complément des documents anciens conservés aux Archives municipales et communautaires d’Orléans, de savoir que l’installation a, par exemple, compté une chaudière à vapeur Babcock et Wilcox ou encore des chaudières à mazout Somat.
Au niveau des appartements reconstruits, il est plus rare de trouver des traces des équipements d’origine : lavabos ou éviers, baignoires ou radiateurs. Néanmoins, le travail de terrain du chercheur permet de rencontrer des habitants acceptant de nous faire visiter leur logement et de découvrir parfois des dispositifs anciens. Ainsi, dans un appartement de l’îlot 4, nous avons eu l’opportunité de découvrir un « bloc-ébrasement » d’origine. Il s’agit de l’une des innovations techniques issues des concours du CRI de 1943. Ici, elle est l’œuvre de la société Croizat et Angeli. L’ensemble, fabriqué en usine puis assemblé sur le chantier, est constitué d’une fenêtre et de sa persienne avec son mécanisme de fermeture, mais aussi d’un radiateur et de ses tuyaux d’alimentation.
Florence Cornilleau, chercheure au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
Si vous ou des proches habitez dans un logement reconstruit disposant encore d’équipements sanitaires d’origine (lavabo, baignoire) et que vous acceptez qu’une campagne professionnelle de photographie soit menée, n’hésitez pas à contacter notre service (inventaire[@]centrevaldeloire[.]fr).
1 Pour en savoir plus sur les dispositifs de préfabrication mis en œuvre dans le chantier d’expérience d’Orléans, voir DELEMONTEY, Yvan. Reconstruire la France. L’aventure du béton assemblé 1940-1955. Paris : Editions de la Villette, 2015.
2 VOLDMAN, Danièle. La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954. Histoire d’une politique. Paris : L’Harmattan, 1997, pp.17-20.
3 On peut citer la cité des gratte-ciels de Villeurbanne par M. Leroux et R. Giroux construite entre 1924 et 1934, ou encore la cité du champ des oiseaux à Bagneux par M. Lods et A. Beaudouin édifiée à partir de 1932.
4 La compagnie parisienne de chauffage urbain est créée en 1928.
5 GALLO Emmanuelle. L’invention et les évolutions du chauffage moderne centralisé. Captation de la conférence du 26 novembre 2015. Paris : Cité de l’architecture et du patrimoine [consulté le 27 novembre 2021]. Site Internet : <https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/linvention-et-les-evolutions-du-chauffage-moderne-centralise>.