Le touage désigne une technique de remorquage de bateaux par une autre embarcation dénommée toueur. Sur un trajet donné, le toueur se hale lui-même sur une longue chaine fixée à terre à ses extrémités. Il peut tracter jusqu’à une dizaine de bateaux.
Ce système est mis en place pour faciliter la navigation lors d’un passage difficile ou dangereux sur des sections de cours d’eau naturel, notamment la Saône, la Seine, le Rhône, la Loire et de certains canaux. La technique du touage, inventée par Eugène Bourdon en 1828, est utilisée durant les XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui, on peut encore voir un toueur en service dans le souterrain de Riqueval (Aisne) sur le canal de Saint-Quentin.
Sur la Loire, des services de touage existaient à Decize / Saint-Léger-des-Vignes (Nièvre), à Châtillon-sur-Loire / Briare (Loiret) et à Combleux / Orléans (Loiret).
A Decize, un système de touage a assuré la traversée du fleuve à partir de 1869 entre le canal latéral à la Loire et le canal du Nivernais, sur un trajet de 1800 mètres environ.
Equipé de deux gouvernails (en avant et en arrière), le toueur pouvait se déplacer dans les deux sens. Il se halait sur une chaîne noyée disposée dans le chenal sur toute la longueur du trajet et fixée aux berges à ses deux extrémités. La chaîne était « avalée » par le toueur par l’avant et rejetée par l’arrière. Le treuillage sur la chaîne était actionné par une machine à vapeur.
Après une interruption du touage entre 1920 et 1933, un nouveau toueur sur chaîne a été établi à Decize. Dénommé « Ampère V », le bateau était équipé d’un moteur diesel et d’une transmission électrique. Ce matériel a fonctionné jusqu’en 1972. Il est aujourd’hui protégé au titre des Monuments historiques.
A Châtillon-sur-Loire, le tracé du canal latéral à la Loire établi sur la rive gauche du fleuve a nécessité pour son raccordement avec le canal de Briare situé sur la rive droite une traversée à niveau de la Loire. A cet endroit, les bateaux entraient donc dans le fleuve et en empruntaient le lit, avant de rejoindre le canal sur l’autre rive. Très controversés en raison des dangers qu’ils entraînaient, ces aménagements (écluses de descente en Loire, digues) ont fonctionné de 1838 à 1896, date de l’ouverture du pont-canal de Briare qui a remplacé l’ancien dispositif.
Pour sécuriser la traversée en Loire de Châtillon, un service de touage a été mis en place en 1881. Il permettait de tracter et guider les bateaux au moyen d’un câble et d’un bateau remorqueur. Comme à Decize, le toueur de Châtillon était équipé d’une machine à vapeur alimentée au charbon. Cependant le système était un peu différent, le câble n’étant fixé à la berge que sur une seule de ses extrémités (près de l’écluse de Mantelot), l’autre bout s’enroulant sur une bobine placée sur le bateau. Des freins permettaient de modérer le déroulement du câble et au besoin de l’arrêter. A la descente, le toueur filait son câble et se laissait aller au courant contre la violence duquel il pouvait se maintenir. A la remonte, il se halait sur le câble et entraînait les bateaux à sa suite.
Cette nouvelle technique a été inventée par l’ingénieur Ferdinand Arnodin, cofondateur avec Tripet de la Société de touage de Châtillon. Cette société réglait ses tarifs d’après la loi de l’offre et de la demande sans que l’administration puisse intervenir.
En 1896, le personnel employé au passage était constitué de deux équipes (4 à 7 hommes chacune) chargées des manœuvres d’entrée et de sortie des écluses. Sur le toueur se trouvaient en outre cinq hommes dont un mécanicien. Le toueur fonctionnait 13 heures par jour en moyenne.
Le succès du touage était réel puisque plus de 85 % des bateaux utilisaient ce service entre 1890 et 1896. Les 15 % restant traversaient par leurs propres moyens à l’aide de pilotes spéciaux désignés sous le nom de billeurs. Ces derniers percevaient les mêmes tarifs : ils présentaient l’avantage de diminuer l’attente imposée par le touage mais le passage était sans doute moins sécurisé.
A Combleux, le toueur guidait les embarcations sur la Loire depuis le port d’Orléans jusqu’à l’embouchure du canal d’Orléans distants de plus de sept kilomètres (Archives départementales du Loiret : 2 S 108).
Etabli en 1891, le service de touage remédiait en partie aux difficultés de navigation sur la Loire. Le système fonctionnait suivant le principe inventé par Arnodin, avec une seule attache du câble à la berge. Le service du toueur de Combleux a perduré jusqu’en 1921, date à laquelle un canal de prolongement du canal d’Orléans entre Combleux et Orléans a été ouvert à la navigation.
On mentionnera enfin un projet de 1861 proposant l’établissement d’une chaîne noyée de touage dans la Loire entre Combleux et Saint-Nazaire, sur 380 kilomètres de linéaire. « L’instabilité du chenal et les risques d’accidents que le système aurait été susceptible d’entraîner » sont les raisons qui ont justifié l’abandon de cet ambitieux projet (Archives départementales du Loiret : 2 S 2 et Archives départementales de Loir-et-Cher : 3 S 159).
Valérie Mauret-Cribellier, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
Pour en savoir plus :
– Dossiers d’inventaire sur les canaux du centre de la France, base nationale Mérimée.
– Dossiers d’inventaire sur les aménagements portuaires de la Loire dans la traversée de la région Centre-Val-de-Loire.
– « Châtillon-sur-Loire : le canal latéral et sa traversée en Loire », collection Itinéraires du Patrimoine, n° 241, 2001.
– « Entre fleuves et rivières, les canaux du centre de la France », collection Images du Patrimoine, n° 245, 2008.
– « Naviguer sur la Loire », collection Images du Patrimoine, n° 295, 2015.
Musée des Deux Marines et du Pont-Canal à Briare
Musée de la Marine de Loire de Châteauneuf-sur-Loire