Dans le cadre, d’une part, d’une étude sur les parcs et jardins de la région Centre-Val de Loire menée actuellement par le Service patrimoine et inventaire de la Région Centre-Val de Loire (SPI) et, d’autre part, de recherches réalisées en vue de publier un ouvrage de photographies sur la Renaissance nous avons souhaité mettre en valeur un jardin méconnu, évocateur de cette période si riche dans l’art des jardins : celui du château de Blois.
Sur une petite superficie (1,9 ha) au cœur de son centre historique, au nord-ouest du château, la ville de Blois a su faire revivre ses extraordinaires jardins royaux à l’occasion de la réalisation de stationnements souterrains à proximité du château au début des années 1990. Le projet consistait à créer un jardin sur une partie de l’emplacement des jardins créés sous Louis XII (1462-1515) par le célèbre jardinier napolitain Pacello da Mercogliano et aujourd’hui entièrement disparus (1). Ces jardins en terrasse, occupaient une large superficie qui s’étendait au-delà de l’espace des Lices. Le jardin de la Bretonnerie occupait l’espace entre le château et l’orangerie ; il était dominé par le jardin Bas, le plus vaste (qui incluait au nord le pavillon Anne de Bretagne) et enfin par le jardin Haut. L’objectif consistait à « élaborer un projet renouant avec le passé historique des Jardins de Blois (2) », donc à évoquer ces jardins disparus sur une superficie très réduite par rapport à leur emprise originelle.
Le maire Pierre Sudreau avec l’architecte Antoine Debré, en charge du secteur sauvegardé, fait appel au paysagiste Gilles Clément qui dessine ces jardins en 1992. Jack Lang, nouveau maire de Blois et ministre de la Culture, puis de l’Education nationale, soutient le projet mais décide de conserver l’école Victor Hugo, qui occupe un angle du terrain. Le paysagiste doit donc travailler sur un carré imparfait, « boiteux ». Gilles Clément, jardinier paysagiste originaire d’Argenton-sur-Creuse vient seulement de créer le parc André-Citroën à Paris avec l’architecte Pierre Berger (réalisé entre 1986-1992). A Blois, il est confronté à la création d’un jardin de ville sur un espace contraint, formé de terrasses de différentes hauteurs et pour partie sur dalles (au-dessus de stationnements souterrains). Il est « désireux d’interpréter l’histoire, non pas de la recopier (3) ».
Son projet, partiellement réalisé, comporte quatre espaces. Organisés en terrasses, comme les jardins disparus, ils prennent place de l’autre côté d’une douve sèche. Le bastion du Roy, au sud, domine l’ensemble. Les trois autres espaces évoquent les trois temps associés à « trois écritures » :
– Le jardin des Simples et des plantes médicinales se réfère à l’enclos du Moyen Âge et à la façade Louis XII du château ;
– Le jardin des Fleurs royales s’inspire de la Renaissance et fait écho à la façade François 1er du château ;
– Le jardin correspondant à l’époque classique et à l’aile Gaston d’Orléans sur l’espace planté de rangées d’arbres, dit jardin des Lices, est projeté mais non réalisé, faute de ressources financières.
Les accès à cet ensemble sont peu visibles depuis la voie publique : on pénètre dans ces jardins discrets, car encaissés par de hauts murs et surélevés par rapport à la rue, par une entrée principale : un escalier partant de l’avenue Jean Laigret et débouchant sur le jardin des Simples et des plantes médicinales.
Il se subdivise en deux espaces.
Le premier jardin occupe l’extrémité nord-est de l’ensemble : un belvédère aménagé avec des bancs surplombe le square Augustin Thierry et la façade des Loges du château de Blois, celle édifiée par François 1er. Le pavillon Anne de Bretagne est visible au nord depuis le jardin. Ce jardin forme un enclos, se composant d’une terrasse en terre cuite auparavant ornée en son centre d’un mûrier. Chacun des angles de ce jardin accueille des espèces végétales associées traditionnellement aux signes du zodiaque.
La partie est du jardin des Simples, est une évocation du jardin médiéval enclos. Au fond, on devine la haute toiture du pavillon Anne de Bretagne, principal témoignage architectural des jardins du château de Blois.
Le deuxième espace s’organise autour d’une place carrée plantée de quatre pommiers et autour de laquelle sont disposés des bancs en pierre blanche très simples. La composition générale de ce jardin est faite de haies d’ifs parallèles entre elles et transversales par rapport à la forme du jardin. Elles sont taillées en vagues qui impriment un rythme ondulant au jardin et s’inspirent des lés de la tapisserie. Des fleurs et des légumes se déploient entre les haies. L’escalier à volée double qui permet d’accéder au deuxième jardin est recouvert de charme.
Cet espace est complété d’un petit bassin associé à une grotte en améthyste évocatrice des grottes de la Renaissance italienne. A son propos Gilles Clément dit qu’elle fait « allusion à la nuit de la grotte et celles des géodes de ce cristal ». Elle recouvre plusieurs fonctions, grotte-fontaine-escalier, associe ornement et nécessité et s’adapte à la petite taille de la parcelle.
Les premiers dessins du jardin s’organisaient dans une forme carrée et selon un plan cruciforme. Une fontaine marquait son centre.
Le jardin des Fleurs royales évoque plus directement la Renaissance. Il est composé de trois rangées de carrés (ou caissons) plantés d’iris, d’hémérocalles et de lys (selon le plan de plantation originel). Comme dans les jardins de la Renaissance, il ne comporte aucun ornement sinon un bassin très simple. Une galerie de charmes taillés en berceau borde le jardin à l’ouest et au nord. Elle évoque la galerie qui permettait au roi de se promener à couvert dans les jardins royaux disparus.
Le jardin classique, prévu à l’emplacement du jardin des Lices à l’ouest de l’ensemble, devait mettre en place une perspective entre l’enclos du jardin des Simples, le bassin du jardin des Fleurs royales et un bassin qui aurait été installé en haut de l’escalier monumental qui devait permettre l’accès au jardin classique.
Cet espace, appelé jardin des Lices, actuellement composé d’allées, de rangées d’arbres et de pelouse ainsi que depuis 1932 d’un petit jardin orné de la sculpture de Diane est classé au titre de la loi du 2 mai 1930 sur les sites. Cette protection permet, à défaut d’aménagement du jardin prévu, de protéger cet espace de l’urbanisation.
L’ensemble de ces jardins en terrasse forme un belvédère qui permet la contemplation de la façade des Loges du château. Les jardins sont reliés les uns aux autres par un amusant jeu de regards. Ils sont visibles depuis le jardin du bastion du Roy, un quatrième espace qui surplombe tous les autres et qui a été traité très simplement par Gilles Clément (suppression de pelouse et conservation d’arbres). De la même manière, les jardins historiques disparus étaient visuellement reliés entre eux : on pouvait admirer depuis le Jardin Haut, le Jardin Bas situé plus en contrebas.
Loin du bruit, ces petits jardins nichés en plein centre-ville constituent un condensé d’évocation historique accessible à tous et respectueux des principes énoncés par la charte de Florence sur les jardins historiques (adoptée par ICOMOS en décembre 1982 et qui fait référence pour les architectes et paysagistes internationaux en complétant la charte de Venise sur les monuments historiques) : « Lorsqu’un jardin a totalement disparu ou qu’on ne possède que des éléments conjecturaux de ses états successifs, on ne saurait alors entreprendre une restitution relevant de la notion de jardin historique. » (Art. 17)
Aurore Tousch, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
(1) Comme tous les jardins de la Renaissance française. Cependant Jacques Androuet du Cerceau publie des dessins très évocateurs de jardins (mais pas toujours réalistes) dont celui de Blois dans son recueil : Le premier [second] volume des plus excellents bastiments de France, Paris, s.n., 1576-1579.
(2) CLÉMENT, Gilles. JONES, Louisa. Une économie humaniste. Paris : Aubanel, 2006.
(3) Ibid.
Pour en savoir plus :
ANDROUET, Jacques dit DU CERCEAU. Les plus excellents bastiments de France. Présentation et commentaires par David Thomson. Paris, Ed. Sand et Conti, 1988
CLÉMENT, Gilles. Les Libres Jardins de Gilles Clément. Paris : Ed. Hachette-Le Chêne, 1997.
CLÉMENT, Gilles, ROCCA, Alessandro (dir.) Neuf jardins : approche du jardin planétaire. Editions Acte sud, 2008.
CLÉMENT, Gilles. JONES, Louisa. Une économie humaniste. Paris : Aubanel, 2006.
DESTERNES, Xavière. Inventaire des parcs et jardins en région Centre : Blois, « les Jardins du Roy ». Avril 2008. [dossier Association des parcs et jardins en région Centre].
LATREMOLIERE, Elisabeth (dir.). Jardins de châteaux à la Renaissance. Paris : Ed. Gourcuff Gradenigo, 2014.
LESUEUR, Frédéric. Le château de Blois. Paris : éditions A&J Picard, 1970.