Depuis la création du service régional de l’Inventaire en 1972, de nombreuses recherches ont été menées, traitant de sujets patrimoniaux variés tant mobilier (civil et religieux) qu’architectural (églises, châteaux, fermes, moulins …). En 50 ans, la mission d’exploration de l’Inventaire a considérablement élargi le champ du patrimoine et a révélé de nombreux nouveaux objets d’études. Les voies d’eau font partie de ces nouvelles thématiques au même titre que le patrimoine industriel, la Reconstruction de l’après-guerre, le périurbain ou encore le 1% artistique.
Jusqu’en 1994, les voies d’eaux étaient étudiées par tronçons, au gré de l’avancée des enquêtes topographiques, approche traditionnelle de l’Inventaire général basée sur l’étude exhaustive d’un territoire donné (le canton la plupart du temps). L’approche cantonale ne permettait qu’une vision éclatée et partielle des réseaux de circulation (voies ferrées ou navigables), de distribution de l’eau (aqueducs, irrigation) ou encore des lignes de fortification.
A partir des années 1980, la mise en place de recherches thématiques, abordées à une échelle interdépartementale (peintures murales en Berry) ou nationale (patrimoine industriel), a permis de modifier l’approche des sujets étudiés et d’appréhender des territoires plus vastes. Les réseaux pouvaient dorénavant être étudiés dans leur globalité.
Le nouveau sujet d’étude des voies d’eaux a nécessité l’élaboration d’un lexique approprié au milieu des années 1990. Il permet aujourd’hui à tous les chercheurs travaillant sur le sujet d’utiliser un vocabulaire commun. L’étude du patrimoine des voies d’eau a connu des développements importants depuis une vingtaine d’années et a été engagée dans douze services régionaux de l’Inventaire général en France.
Il est aujourd’hui admis que les canaux font partie du patrimoine et on s’étonne que la première recherche qui leur est consacrée par l’Inventaire général en France n’ait été lancée qu’en 1994, année où la région Centre démarre l’étude des six voies d’eau la traversant : les canaux de Briare, d’Orléans, du Loing, de Berry, de la Sauldre et latéral à la Loire, distribuant quatre régions, le Centre, la Bourgogne, l’Auvergne et l’Ile-de-France et totalisant 800 kilomètres de linéaire. A l’origine, l’étude des éléments constitutifs de ces six canaux avait pour but d’aboutir à une mise en valeur et à la protection raisonnée, au titre des Monuments historiques, de certains sites caractéristiques ou exceptionnels. Conformément à l’idée de départ, 14 sites ont été protégés en région Centre-Val de Loire entre 1998 et 2013.
Révélation d’un patrimoine méconnu, ce travail a également permis de considérer le canal sous différents aspects : élément formateur d’un réseau, vecteur économique et commercial, initiateur d’innovations techniques et créateur de paysages. Les ouvrages considérés par l’étude sont multiples et variés : c’est d’abord la voie navigable proprement dite avec le système d’alimentation en eau (réservoirs, prises d’eau, rigoles d’alimentation et usines élévatoires …), le système de régulation de l’eau (déversoirs) et les ouvrages liés directement à la navigation (écluses).
Les ouvrages d’art ont également été pris en compte : les ponts fixes munis souvent de banquettes de halage, les ponts mobiles, les ponts-canaux, les ponts de halage. Il y a aussi les installations portuaires avec les bassins, les cales de radoub et les grues de levage, les bâtiments administratifs et les logements de fonction comme les maisons de gardes et les maisons éclusières sans oublier l’environnement paysager (alignements d’arbres, pépinières).
A la suite de l’étude des canaux, la recherche s’est poursuivie sur les anciennes voies navigables naturelles de la région Centre, plus particulièrement sur trois cours d’eau, : la rivière de l’Yèvre sur laquelle a été découverte une série d’écluses à sas du XVIe siècle entre Vierzon et Bourges, la rivière du Cher qui a fait l’objet d’une recherche approfondie et pluridisciplinaire dans le cadre du Projet Collectif de Recherche « Navigation et navigabilités des rivières » (https://journals.openedition.org/adlfi/37482) dirigé par Virginie Serna et, enfin, un travail sur les aménagements portuaires de la Loire dans sa traversée de la région.
Conduite de 2008 à 2013, l’étude sur les aménagements portuaires de la Loire fait suite à un recensement des cales et des quais du fleuve et de ses affluents mené pas la direction régionale de l’environnement du Centre (DIREN1). Le travail a porté sur le tracé de la Loire dans les quatre départements traversés par le fleuve en région Centre-Val de Loire soit environ 330 kilomètres : le Cher (et la Nièvre côté rive droite en région Bourgogne), le Loiret, le Loir-et-Cher et l’Indre-et-Loire. Il s’agissait d’enrichir le recensement par des données historiques et iconographiques recueillies dans les fonds d’archives (nationales, départementales, municipales, École nationale des Ponts-et-Chaussées…).
La navigation commerciale sur la Loire décline dès le milieu du XIXe siècle et disparaît au tout début du XXe siècle pour la section qui nous intéresse. Cette cessation du trafic entraine un abandon des structures liées à la navigation, tels les ports devenus inutiles, et une absence de leur entretien. Les nouveaux usages apparus au cours de la seconde moitié du XXe siècle (stationnement de voitures2, passage de canalisations), sans rapport avec leur destination initiale, engendrent des dégradations parfois irréversibles et occasionnent une pollution visuelle considérable (revêtement de bitume, panneaux de signalisation).
En milieu rural, la modestie et la discrétion des ouvrages portuaires de la Loire les rendent parfois indécelables et ce d’autant que les aménagements, souvent considérés comme devenus inutiles, disparaissent peu à peu sous les alluvions et la végétation. Cependant ces éléments de patrimoine, une fois reconnus et identifiés, présentent un intérêt certain et méritent d’être préservés, protégés et valorisés. Témoins d’activités aujourd’hui disparues (navigation, pêche, bateaux-lavoirs, bateaux de bains, tireurs de sable et de jards), ils structurent le paysage ligérien.
Comme pour les canaux, le regard sur le patrimoine fluvial a beaucoup évolué depuis une trentaine d’années. Aujourd’hui, de nombreux acteurs s’intéressent à l’avenir patrimonial fluvial ligérien : les zones protégées au titre des sites (loi de 1930 relative aux monuments et sites naturels) et l’inscription du Val de Loire en 2000 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en sont la manifestation.
Cependant, cette reconnaissance exige en contrepartie un engagement visant à protéger, conserver et valoriser ce bien patrimonial. Cet engagement se manifeste à travers diverses actions dans lesquelles les collectivités sont d’ores et déjà parties prenantes. En région Centre-Val de Loire, un certain nombre de sites a déjà bénéficié, depuis une vingtaine d’années, de dégagement et/ou de restauration3. D’autres ont été mis en valeurs et réhabilités : c’est le cas notamment du port de Chouzé-sur-Loire en 1999 et du port d’Orléans en 20074. Il semble que la nécessité d’une démarche globale et raisonnée de restauration et de mise en valeur des éléments patrimoniaux ligériens est dorénavant admise. L’étude des ports de Loire participe à cette démarche en constituant une aide aux collectivités dans leur demande de restauration et en sensibilisant le grand public à ce patrimoine exceptionnel, marqueur de l’identité ligérienne.
Les résultats de l’étude des voies navigables conduite par le service régional de l’Inventaire ont été restitués au fur et à mesure de l’avancement des recherches : cinq « Itinéraires du Patrimoine » parus entre 1996 et 2004 (pont-canal de Briare, traversée à niveau de la Loire par le canal latéral à la Loire à Châtillon-sur-Loire, canal de Berry, canal de la Sauldre, canal latéral à la Loire), une exposition en partenariat avec le musée de la Marine de Loire de Châteauneuf-sur-Loire en 2004, un ouvrage de synthèse (collection « Images du Patrimoine ») en 2008 sur les canaux et une publication (collection « Images du Patrimoine ») sur la navigation sur la Loire en 2015 (catalogue des publications du SPI : https://inventaire-patrimoine.centre-valdeloire.fr/catalogue-des-publications-du-spi). Plusieurs articles abordant des sujets plus spécifiques ont également été publiés dans diverses revues.
Les voies d’eau patrimoniales doivent impérativement être abordées dans leur globalité, dans toute leur linéarité. C’est l’accumulation d’éléments qui paraissent identiques mais qui ne le sont jamais complètement en réalité qui constituent toute leur richesse. Il y a bien sûr certains sites exceptionnels ou caractéristiques qui doivent être signalés mais la multitude des petits ouvrages que l’on oublie parfois de voir et qui racontent chacun un fragment de l’histoire et du fonctionnement de ces voies d’eau ne doit en aucun cas être oublié. Ce sont ces éléments-là qui sont les plus fragiles, ceux qui risquent d’être détruits, effacés ou remplacés lors de restaurations abusives. Beaucoup ont déjà disparus et il nous appartient de tout mettre en œuvre pour préserver ce qui peut encore l’être.
La voie d’eau n’est plus aujourd’hui un patrimoine délaissé, c’est un lieu que le public s’est réapproprié notamment parce qu’il allie patrimoine naturel et patrimoine bâti. Le tourisme fluvial en plein essor ne s’y est pas trompé : les canaux et les cours d’eau montrent à celui qui sait voguer ou cheminer le long de leurs cours qu’ils méritent qu’on s’y arrête.
Valérie Mauret-Cribellier, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
1 Depuis 2010, la DIREN Centre fait partie de la DREAL Centre (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du Logement).
2 Amboise, Orléans.
3 cale de Saint-Benoît-sur-Loire en 1991, port du Cavereau à Saint-Laurent-Nouan en 2002, port de Saint-Dyé-sur-Loire en 1984, cale de Langeais en 2012, port de Bréhémont en 2009, port de Chouzé-sur-Loire en 1999 et port de Candes-Saint-Martin entre 2009 et 2011. Le port de Chouzé a fait l’objet de travaux, à l’initiative de la commune, antérieurs à ceux réalisés dans le cadre de la restauration du patrimoine fluvial par le conseil départemental d’Indre et Loire.
4 Nevers en 2013, quais de Cosne en 2008-2011, Châteauneuf-sur-Loire en 1990, Orléans en 2007, Chouzé-sur-Loire en 1999