Domaine de Chaumont-sur-Loire : moules et médaillons de Jean-Baptiste Nini (1717-1786)

Publiée le 4 juillet 2024

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Au sein des collections du Domaine de Chaumont-sur-Loire figure l’ensemble exceptionnel de 80 moules et médaillons exécutés par le sculpteur et graveur italien Jean-Baptiste Nini dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La collection est constituée à partir de 1877 par la Princesse et le Prince Amédée de Broglie, derniers propriétaires privés du Domaine de 1875 à 1938, par des acquisitions auprès de particuliers ou lors de ventes aux enchères et est actuellement exposée dans la chambre dite de Catherine de Médicis.

Aux origines

En 1750, Jacques-Donatien Leray (ou Le Ray) (1726-1803)1, riche financier ayant fait fortune en particulier dans le commerce maritime, acquiert la terre de Chaumont-sur-Loire comprenant le château dont il fait sa résidence régulière. Il accole à son patronyme le nom de son nouveau domaine, se faisant désormais appeler Leray de Chaumont et n’hésite pas à créer ses propres armoiries, armoiries parlantes, décrites comme suit d’argent au chevron de gueules accompagné de deux étoiles de sable en chef et d’une raie de sable sur une mer de sinople en pointe.

Désireux de tirer profit de la terre qu’il vient d’acquérir et de procurer du travail à la population chaumontoise, il fonde une manufacture au lieu-dit Les Places, situé à une centaine de mètres du château, à l’emplacement des écuries actuelles. La manufacture dont l’unique trace est conservée dans la substructure du four correspondant à la partie haute du manège à poneys regroupe deux fabriques, l’une de tuilerie et poterie, l’autre de cristal. La pierre de fondation2 est posée le 24 juillet 1770 par le verrier anglais Robert Scott Godefroi, responsable de la verrerie. A la fin de l’année 1772 Leray confie la direction générale de la manufacture à Jean-Baptiste Nini qu’il a remarqué à Paris et auquel il a demandé l’année précédente de réaliser son portrait. Robert Scott Godefroi supervise la fabrique de cristal et le céramiste Pierre Nicolas Berthevin3, arrivé à Chaumont à l’automne 1772, celle de poterie.

Craignant d’être inquiété pendant la Révolution et de perdre son patrimoine, Leray cède en 1791 la nue-propriété du domaine à son fils, James Le Ray, devenu citoyen américain en 1787, arguant ainsi de sa qualité de simple usufruitier. L’inventaire dressé lors de la cession dénombre une collection de plus de 370 médaillons de Nini qui seront dispersés par la suite.

Triple portrait dit de la famille Nini, 1763, terre cuite rouge. © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard et Hélèna Bouguet. Cliquer pour agrandir.
Jean-Baptiste Nini

Né le 19 avril 1717 à Urbino, il apprend très jeune les premiers rudiments de l’art auprès de son père Domenico Antonio (1688-1772) mais sa formation artistique commence véritablement à l’Académie Clémentine de Bologne où il est admis au début des années 1730. Après 1740, il part en Espagne où il est employé dans les manufactures royales de Ségovie et de Madrid ; il y grave des scènes champêtres et des scènes de chasse. Il s’installe à Paris vers 1758 et commence à sculpter les médaillons en terre cuite qui feront sa célébrité. Il fréquente sans doute les salons de la bourgeoisie et de la petite noblesse car cinquante-quatre portraits de « parisiens », personnages illustres pour la plupart, ont été répertoriés, exécutés entre 1762 et 1772.

Travaillant d’après nature ou d’après des médailles, des gravures ou des dessins déjà diffusés et connus, et s’inspirant de l’art de la médaille dans la mise en page des figures et la calligraphie des légendes, Nini commence la réalisation de portraits en médaillons de petit format moulés en terre cuite. Ces sculptures miniatures, par leur ressemblance avec le sujet, leur élégance et la minutie apportée au rendu des textures, vont lui permettre d’acquérir une certaine notoriété. La réputation croissante de l’artiste attire l’attention de Leray de Chaumont qui l’engage à la fin de l’année 17724, s’attachant ses services sa vie durant tout en lui préservant la liberté totale pour ses créations personnelles. Il y restera jusqu’à sa mort en 1786.

Anne-Claude de Pestels, comte de Caylus, 1765, terre cuite blanche. © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard et Hélèna Bouguet. Cliquer pour agrandir.

La technique de Nini n’est pas parfaitement connue mais, selon toute vraisemblance, il modelait un premier modèle en cire dont il tirait un creux en soufre ou en plâtre. Ce dernier servait à réaliser une seconde épreuve en plâtre qu’il retravaillait et dont il tirait le moule en terre cuite, utilisé comme creux pour la confection du médaillon final. La préservation du modèle permettait une duplication indéfinie des médaillons de haute qualité et qui gardaient la trace du contact direct de la main de l’artiste.

Au préalable, il mélangeait les terres, les travaillait, les tamisait à l’état humide à travers des étoffes de soie, formant ainsi une espèce de crème. Cette bouillie, décantée et très fluide, était ensuite coulée dans le moule et sa finesse permettait de restituer les détails et les motifs après le démoulage.

Aujourd’hui

La production de cristal de la manufacture de Chaumont est aujourd’hui perdue. Le Prince et la Princesse de Broglie possédaient deux verres en cristal qui furent conservés par la Princesse jusqu’à son décès en 1943 puis vendus par ses descendants.

En revanche, 78 modèles de médaillons sont répertoriés et localisés dont la plupart figurent dans la collection de Chaumont. Elle comprend les portraits de personnages officiels (Voltaire, la marquise de Vaudreuil, le Prince de Beauvau…), des monarques (Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, la tsarine Catherine II de Russie…), d’autres artistes comme le graveur et dessinateur Jean-Michel Moreau ou le graveur Jean-Baptiste Joseph de la Fosse, des portraits de la famille Leray, de leurs familiers et de l’entourage de Nini à Chaumont. Cependant, le personnage le plus représenté est Benjamin Franklin pour lequel Nini a réalisé sept versions différentes entre 1777 et 1779. Cinq d’entre elles sont conservées à Chaumont : à la romaine, avec et sans lunettes, coiffé du bonnet de la liberté ou d’un bonnet de fourrure.

Lors de la destruction de la manufacture en vue de construire les écuries, des fragments de médaillons sont découverts. Le régisseur du domaine adresse au Prince de Broglie une lettre5 datée du 18 septembre 1877 pour en mentionner la découverte :

“Monsieur le Prince, en faisant des fouilles au jardin pour poser des tuyaux, on a découvert une collection de médaillons malheureusement brisés en bien des morceaux. Ces médaillons étaient faits à Chaumont de 1760 à 1780 par un nommé Nini, italien, ami de Monsieur Leray de Chaumont, propriétaire du château à cette époque. Ils sont très recherchés dans nos contrées, principalement par le musée de Blois. Il y’en a qui valent au-dessus de 100 francs. Tous les morceaux trouvés ont été soigneusement lavés et ma fille à force de temps et de patience en a reconstitué environ 80 qui sont pour ainsi dire complets. Il y’en a d’autres dont il en manque une partie. Le terrassier qui les a trouvés en connaissait la valeur mais il a bien agit [sic]et les a déterrés avec soin. Il mérite une petite récompense. Cette collection a dû étre [sic] brisée pendant la Révolution et enfouie en terre. Il y a beaucoup de figures de Louis XV, Louis XVI et Marie-Antoinette. »

L’ensemble est actuellement déposé dans les réserves du château.

Portrait de femme dite Jeanne Nini, 4e quart XVIIIe siècle, cire blanche © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette-Pingard et Hélèna Bouguet. Cliquer pour agrandir.

La collection de médaillons de Nini de Chaumont-sur-Loire est reconnue comme l’une des deux plus prestigieuses avec celle du Metropolitan Museum of Art à New York. Parmi les œuvres majeures figurent l’un des trois seuls médaillons connus en cire de Nini – les deux autres sont conservés au musée du Louvre -, l’unique médaillon sculpté en méplat représentant le triple profil de la famille Nini et l’unique moule en plâtre représentant Benjamin Franklin portant le bonnet de la liberté.

Françoise Jouanneaux, chercheure au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire et John Touchet, chargé de mission pour le suivi des collections du Domaine régional de Chaumont-sur-Loire.

1 Jacques-Donatien Leray, issu d’une famille d’armateurs nantais, acquiert une immense fortune dans divers négoces, devient Grand-maître des Eaux et Forêts de Blois en 1753 et Intendant de l’Hôtel royal des Invalides en 1769. Fervent sympathisant de l’indépendance américaine, cause qu’il soutient en approvisionnant l’armée des Insurgents, il s’improvise intermédiaire non officiel entre les émissaires américains et le gouvernement français. A ce titre, il se lie d’amitié avec Benjamin Franklin, ambassadeur des États-Unis depuis 1776, qu’il héberge pendant neuf ans en son hôtel de Valentinois à Passy. C’est sans doute lui qui fait démolir l’aile Nord du château, ouvrant la cour sur la Loire.
2 La pierre de fondation est retrouvée en 1877 lors de la destruction de la manufacture préalable à la construction des écuries par le prince Amédée de Broglie.
3 Pierre Nicolas Berthevin, spécialiste de l’impression sur faïence fine, dirige la manufacture de Marieberg (Suède) de 1766 à 1769, puis celle de Mosbach (Allemagne) de 1769 à septembre 1772, avant d’arriver à Chaumont.
4 Le contrat est signé devant notaire le 1er octobre 1772.
5 Lettre conservée aux Archives départementales de Loir-et-Cher (Fonds Guilpin, F2062 à F2079).

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