Dans le cadre de l’opération d’inventaire du patrimoine bâti du Parc naturel régional du Perche, une douzaine de communes euréliennes situées au sud-est de Nogent-le-Rotrou ont fait l’objet d’une étude de leur architecture rurale. Pour cinq d’entre elles (Trizay-Coutretôt-Saint-Serge, Vichères, Argenvilliers, La Gaudaine, Thiron-Gardais), l’examen des archives a mis en exergue un patronyme – celui de Piarron de Mondesir – qui apparaît de manière récurrente sous diverses orthographes. Issus de la bourgeoisie moyenne, les membres de la branche percheronne de cette famille y sont cités comme propriétaires de quelques fermes autour de Thiron-Gardais dès le milieu du XVIIIe siècle. Ce domaine s’accroît de manière considérable après la Révolution pour atteindre une superficie d’environ 1 500 ha au milieu du XIXe siècle englobant une trentaine de fermes, moulins, manoirs et châteaux. Parmi les nombreuses figures familiales dépeintes par Emmanuel Lagrange dans son ouvrage familial sur les Piarron de Mondesir*, les portraits de trois protagonistes sont brossés ci-dessous.
Les raisons qui ont amené ce fils de fermier général de la seigneurie d’Artange dans le Bourbonnais (actuellement commune de Chareil-Cintrat dans l’Allier) à vivre dans le Perche restent obscures. Il épouse en 1747 en l’église Notre-Dame des Marais de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), Jeanne Robbé, une orpheline de dix ans sa cadette issue d’une ancienne famille percheronne, les Mondeguerre. Après quelques années passées à Mortagne-au-Perche (Orne) où Jean-Marie exerçait comme contrôleur ambulant des Aides, le couple se fixe définitivement à Nogent-le-Rotrou vers 1757. Sans rente ni fortune personnelle, il occupe la fonction de receveur, puis receveur général des aides et possède quelques fermes autour de Thiron dont celle de la Chalopinière, sa résidence occasionnelle.
Il fait réaménager cette gentilhommière de la seconde moitié du XVIe siècle (structure en pan de bois et charpente datées par dendrochronologie : automne-hiver 1566/67d**). Les cheminées sont alors reconstruites, les pièces redistribuées – en témoignent les portes de style Renaissance en vogue à cette époque – et les dépendances réédifiées.
Ancien élève du collège royal militaire de Thiron – tout comme son frère ainé Jean-Baptiste Claude (1752-1837) qui exerça dans la magistrature comme juge au tribunal civil de l’Orne, puis président du tribunal criminel de Mortagne (Orne) en l’an VI (1798) –, Étienne décide très jeune d’entrer dans les affaires et part faire fortune à Paris. Cité dans les actes notariés comme « négociant à Paris », il créé une société avec un associé, le sieur Coutouly, en 1786, dissoute trois ans plus tard. Il est difficile d’en savoir davantage sur la poursuite de ses activités de négoce en cette période trouble, révolutionnaire et post-révolutionnaire. Son activité devait cependant être florissante à en lire la liste des biens acquis à cette époque lui permettant d’accroître son domaine : deux châteaux, une vingtaine de fermes avec plus de 1 000 ha de terres ainsi qu’un hôtel particulier à Paris, l’hôtel de Villette situé au n°1 rue de Beaune (7ème arrondissement).
De nombreux édifices provenant des biens de l’Église ou d’aristocrates en exil sont achetés comme biens nationaux telles que les anciennes fermes de l’abbaye de Thiron en 1792 (les Aulnais, la Motte, la Tuilerie) et ses dépendances (maison du gardien, colombier). Étienne, puis son fils Casimir, rachèteront petit à petit toutes les anciennes dépendances de l’abbaye : le moulin, l’ancien laboratoire des moines, la maison du médecin (vers 1820-1830) et même la grange aux dîmes (courant XIXe siècle).
Dans les années 1820, le domaine s’étend sur plus de la moitié de la superficie de commune de Thiron. À l’instar des plans terriers dressés par les seigneurs sous l’Ancien Régime, Étienne mandate en 1832 M. Boutefol, ingénieur-vérificateur des forêts du roi, à Paris, pour qu’il lève la carte topographique de ses fermes, moulins et métairies situées sur les communes de Thiron, Saint-Hilaire-des-Noyers et Saint-Denis-d’Authou (Eure-et-Loir).
À quelques kilomètres au sud-ouest, il acquiert des terres et des fermes pour agrandir son domaine autour du château d’Oursières et de sa ferme à Argenvilliers achetés en 1810. À Vichères, ce sont l’ancien manoir de Burre et les fermes de Touchebrault, de la Garenne et de Beauchêne qui entrent dans le giron des Mondesir en 1807 ; à Trizay, l’ancien manoir de Miermaux et la ferme des Boulais vers 1810.
Dans un contexte de première révolution agricole que connaît le secteur à cette époque, bon nombre de ces fermes voient leurs dépendances reconstruites et bien souvent agrandies. C’est le cas à Touchebrault lors des travaux de réaménagement de 1833 à 1835 où deux vastes granges sont réédifiées (dont une seule subsiste, datée 1834).
Face à l’étendue du domaine et le besoin de surveiller les diverses propriétés, bois, étangs et rivières, Mondesir engage en 1836 Jean-Louis Bailleau, journalier demeurant à Argenvilliers, comme garde particulier. Comme dans les grands domaines seigneuriaux sous l’Ancien Régime, ces gardes devaient porter une plaque frappée de l’inscription « garde des propriétés de la famille de Mondesir ». Deux de ces plaques ont été conservées par un descendant.
Étienne Pioerron de Mondesir embrasse également une carrière politique sur le tard. Il est élu conseiller d’arrondissement de Nogent-le-Rotrou (1820-1832), puis maire d’Argenvilliers (1826-1831).
Marié avec Catherine Chauveton (1768-1818), le couple a eu sept enfants nés entre 1789 et 1807. Veuf à 58 ans, il épouse en secondes noces sa nièce Éléonore Artaud (1797-1869) en 1832, à l’âge de 72 ans. À la suite de son décès en 1843, un litige oppose ses héritiers : le gendre, Étienne Duplés-Agier, marié à Rose Pioerron de Mondesir (1802-1876), fille et héritière, accuse ses beaux-frères Auguste (1790-1870), Léon (1806-1853) et Casimir (1807-1873) de spolier son épouse. Sa demande de compensation financière fait l’objet d’une importante documentation conservée par les descendants. Tous les biens – mobiliers et immobiliers, en propre comme en commun, acquis avant ou après les décès des époux Mondesir – y sont listés et évalués en juillet 1847 pour un juste partage entre héritiers. Le vaste domaine est alors disloqué et bon nombre de propriétés vendues dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Tout comme son frère ainé Auguste, polytechnicien et officier de la Grande Armée qui s’est notamment illustré durant la Campagne de France en 1814, Casimir se destine à une carrière militaire. Jeune officier entré à l’école militaire de Saint-Cyr vers 1826, il démissionne à la suite d’une maladie. Il épouse alors, à l’âge de 27 ans, sa cousine éloignée Stéphanie Artaud (1795-1870) de douze ans son ainée. Le couple s’installe à Lille (Nord) où Stéphanie possède plusieurs propriétés.
À croire que la politique locale est une affaire de famille : Casimir est élu conseiller d’arrondissement d’Eure-et-Loir et maire de Thiron-Gardais durant de longues années, comme son père Étienne avant lui et comme son fils Fernand (1836-1918), maire de Thiron-Gardais de 1908 à 1918.Du domaine constitué par son grand-père, largement agrandi par son père avant d’être démantelé par ses frères et sœurs (vente des biens du secteur d’Argenvilliers, Vichères, Trizay au milieu du XIXe siècle : Oursières, Burre et Miermaux entre autres), une part importante des propriétés proches de Thiron-Gardais sont conservées et deviennent le « fief » de Casimir. Il s’est fait aménager l’ancien laboratoire de l’abbaye de Thiron où il vit lors de ses séjours réguliers dans le Perche.
* Ce court article se base, pour le contenu historique, sur les recherches d’Emmanuel Lagrange, descendant des Piarron de Mondesir, compilées dans un ouvrage familial : « Piarron de Mondesir L’histoire de notre famille » paru en 2021.
** d = dates d’abattage obtenues par dendrochronologie
Florent Maillard, chargé de mission « Inventaire du patrimoine bâti » au Parc naturel régional du Perche