L’atelier de vitraux Lorin de Chartres, fondé en 1863 et encore en activité aujourd’hui, conserve une très grande partie de ses archives tant écrites qu’iconographiques. Ce fonds exceptionnel nourrit considérablement l’étude conduite par le service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire sur cet atelier.
Fin 2017, alors que la Ville de Chartres vient d’acheter les locaux et le fonds d’archives des ateliers Lorin, plusieurs campagnes photographiques sont conduites en urgence par le Service Patrimoine et Inventaire afin de préserver la mémoire des lieux, préalablement aux travaux de sauvegarde projetés par la Ville, et avant le déplacement des archives dont la préservation était menacée avant cette acquisition. Les conditions de conservation de ces dernières sont en effet préoccupantes, les documents entassés étant exposés aux fluctuations de température et d’hygrométrie, à la poussière et à la lumière. Leur déplacement est également nécessaire à la conduite de leur classement qui est effectué en grande partie en 2019-2020 par le service des archives municipales de la ville.
Les documents conservés dans le fonds Lorin sont de nature très diverse : carnets de commandes, notes quotidiennes du chef d’atelier, correspondance, devis, factures, inventaires de matériel, maquettes, cartons de vitraux, plaques photographiques…Chacun de ces documents apporte de riches informations concernant l’activité et l’organisation de l’atelier, ses équipements et sa capacité à traiter les commandes. Ils se complètent les uns les autres et renseignent une activité continue de 1869 à 1972. La volumétrie du fonds Lorin a été évalué à 59 ml d’archives écrites, 15 000 maquettes et croquis, 25 000 cartons, 8 ml de photographies collées sur carton et plus de 2000 plaques de verre photographiques. Quelques lacunes, dues aux aléas de plus de 160 ans de vie d’un établissement, sont cependant à déplorer. On constate en particulier l’absence totale d’archives correspondant aux six premières années de l’atelier (1863-1868) avant son installation rue de la Tannerie, la perte d’une partie de la correspondance réceptionnée au XXe siècle, la disparition de nombreuses maquettes et l’absence des ouvrages de la riche bibliothèque vendus en 1973 par les héritiers de François Lorin.
Dans le fonds Lorin, toute recherche concernant une commande débute par la consultation du répertoire général qui permet d’établir la correspondance entre les noms des communes ou des clients et le ou les numéros de chantiers qui lui ont été attribués. Lorsque l’on a identifié ces numéros, il convient de consulter les carnets de commandes dans lesquels sont consignés les descriptifs de chantiers précisant la commune, l’édifice, la date, les dimensions des baies, les sujets des verrières et le prix. Parfois, les carnets apportent des informations plus précises concernant l’emplacement des baies dans l’édifice, le nom de la personne à contacter (curé, architecte), la date d’expédition ou de pose des verrières, les noms des donateurs et celui du cartonnier ayant dessiné les maquettes. Les plus anciens carnets de commandes précisent également les coûts détaillés des matériaux et des différents postes de travail (dessin du projet, main d’œuvre d’exécution), les fournitures (verre, plomb, papier, étain, émaux), la cuisson des verres peints et les caisses d’emballage.
La qualité de restitution des carnets de commandes est inégale suivant les époques. Particulièrement soignés et bien illustrés pendant la période de la veuve Lorin (1883-1901), ils deviennent beaucoup plus sommaires après le décès de Charles Lorin en 1940.
Les carnets du chef d’atelier correspondent aux 77 cahiers remplis quotidiennement par le contremaître Onésime Bourgeois de 1878 à 1906, année de son départ à la retraite. Particulièrement instructifs, ces carnets restituent au jour le jour tous les évènements liés à la vie de l’atelier : avancée des chantiers, visites des curés, des particuliers et des fournisseurs, activités et déplacements des ouvriers, nature des oeuvres envoyées aux expositions, satisfaction des clients, moments forts de la vie personnelle des employés et de la famille Lorin (mariages, décès). Au début de chaque carnet, se trouvent une liste des employés et un état des chantiers en cours. A partir de 1883, Onésime Bourgeois ajoute à ses carnets un répertoire des noms de personnes et de lieux afin d’y faciliter les recherches.
Chaque année, l’équipement de l’atelier fait l’objet d’un inventaire précis listant le matériel et les outils utiles à chaque étape de la réalisation des vitraux, dessin, peinture sur verre, gravure, cuisson des verres peints, fabrication du plomb, serrurerie. A cette occasion sont aussi évalués les stocks de fournitures (papier, droguerie) et de matières premières (verres, plomb, fers). Ces inventaires, restituant l’état des équipements à une date donnée, permettent de dater une partie du matériel conservé. Grâce à eux, on connait notamment la date de construction des deux grands échafaudages mobiles utilisés par les peintres sur verre dans la tour des peintres (1875-1876). Les inventaires nous apprennent aussi que l’atelier Lorin achète en 1905 un pyrofixateur Lacroix, petit four portatif qui a disparu aujourd’hui. Les produits mentionnés par les inventaires fournissent également des informations précieuses quant aux techniques de travail de l’atelier. La mention d’acide fluorhydrique pour graver le verre, d’huile de lin utilisée pour ramollir le mastic, d’essence de lavande entrant dans la composition de la peinture grasse en sont quelques exemples.
A partir de 1873, tous les courriers envoyés par l’atelier Lorin sont dupliqués pour archivage. Les duplicatas, réalisés sur papier pelure grâce à une presse à copier, sont rassemblés dans des cahiers de 500 pages. La centaine de cahiers conservés totalise environ 50 000 courriers dont l’exploitation est facilitée par la présence, à la fin de chaque volume, d’un répertoire des noms des destinataires. La correspondance permet de suivre l’évolution de certains chantiers au jour le jour et de comprendre les rapports qui se tissent entre les Lorin et leurs interlocuteurs (clients, architectes, cartonniers, fournisseurs, autres peintres-verriers). Une grande partie de la correspondance réceptionnée par l’atelier a également été préservée.
Les factures de fournisseurs sont également des documents susceptibles d’apporter quantité de renseignements. Ils permettent notamment d’appréhender les lieux d’approvisionnement de l’atelier, la diversité des fournisseurs et la quantité de marchandises achetées. On observe que les fournisseurs de l’atelier Lorin ne sont pas, pour la plupart, implantés à Chartres et qu’ils sont essentiellement parisiens, sans doute en raison de la spécificité des besoins en matériaux propres au métier de peintre-verrier, non disponibles à proximité de Chartres, comme le verre, le plomb ou la grisaille. Les factures conservées ont aussi permis de dater certains éléments encore en place aujourd’hui à l’atelier, en particulier le four à gaz de la marque Tranchant acheté en 1926 et utilisé pour la cuisson des verres peints.
Pour faire connaitre l’atelier, les Lorin éditent régulièrement divers documents commerciaux destinés à être largement diffusés, des cartons publicitaires, des prospectus indiquant les prix pratiqués, des insertions publicitaires dans des revues spécialisées, du papier à en-tête et des cartes de visites. Ces documents fournissent eux aussi de nombreuses et précieuses informations quant à la manière dont les verriers souhaitent se présenter et afficher leur établissement. Sont notamment mis en avant l’ancienneté de la Maison Lorin, les principales distinctions remportées, des chantiers de référence sortis des ateliers. Parfois, des envois en grand nombre de documents commerciaux sont effectués, en juillet 1882 notamment, lorsque 500 « circulaires » sont expédiées à des clients potentiels, curés et architectes pour la plupart.
Un petit catalogue commercial imprimé à la fin du XIXe siècle et restituant différents types de vitreries géométriques est conservé. Certaines de ses planches ont été colorisées à l’aquarelle pour rendre le document plus attractif auprès des clients.
Aux archives écrites s’ajoutent de nombreux documents iconographiques tels que les maquettes, les cartons à grandeur d’exécution, les croquis des carnets de commandes, les plaques de verre photographiques ou les croquis cotés des baies.
Les maquettes proposées aux clients sont généralement tracées au 1/10e ou au 1/20e du format des baies. Habituellement dessinées à l’encre et à la gouache sur papier fort, elles servent de support au dialogue qui s’ensuit entre le commanditaire et le peintre-verrier concernant les derniers ajustements de compositions et de couleurs, la nature des bordures et les inscriptions éventuelles. Les maquettes du fonds Lorin présentent majoritairement des sujets religieux mais on trouve également quelques projets de vitraux civils. Certains dessins portent des indications de couleurs ou sont annotés des modifications demandées par les clients. D’autres dessins proposent des variantes de bordures ou de grisailles.
Lorsque le client et l’atelier ont trouvé un accord concernant le programme iconographique et le coût d’un projet, qu’une maquette a été acceptée et que les gabarits des baies ont été relevés, l’exécution des verrières peut commencer. Les maquettes sont alors agrandies pour obtenir un carton à l’échelle d’exécution. Du fait de leurs grands formats, généralement plusieurs mètres de long, et de leur mode de rangement sous forme de rouleaux, les conditions de stockage des cartons sont délicates. Le manque de place a contraint la famille Lorin à les entreposer dans les greniers. La conservation et l’inventaire de ces cartons demeurent problématiques en raison de leur nombre important, 25 000 environ. Difficilement déroulables sans dommage, ils demeurent actuellement inaccessibles et n’ont pas pu être directement exploités dans le cadre de l’étude.
Les plaques de verre photographiques reproduisent essentiellement des maquettes, des cartons et des vitraux sortis de l’atelier Lorin, datables des années 1870 aux années 1960, ainsi que des mosaïques exécutées au cours des années 1930. On trouve également quelques portraits dont certains correspondent à des membres de la famille Lorin. Les plaques de verre ont été numérisées et inventoriées en 2023 par le service des archives municipales de Chartres et beaucoup d’entre elles ont pu être identifiées grâce à trois répertoires listant les clichés pris à l’atelier. L’importante documentation photographique rassemblée faisait généralement l’objet de tirages sur papier qui étaient classés par thèmes iconographiques. Cette documentation constituait un catalogue de modèles à montrer aux clients ou servait de sources d’inspiration aux cartonniers chargés de dessiner de nouveaux projets.
Dans les années 1870-1890, des tirages papiers figurant certains vitraux jugés importants ou significatifs étaient mis à disposition des représentants de l’atelier pour qu’ils se constituent des albums de modèles à emporter lors de leurs tournées commerciales.
Le fonds d’atelier Lorin comprend également des dossiers individuels de chantiers du milieu du XXe siècle, des répertoires de thématiques iconographiques traitées par l’atelier, divers cahiers renseignant les expéditions et réceptions de courriers et colis, des livres de comptes, un carnet de transcriptions latines de textes habituellement inscrits sur les verrières religieuses, des inventaires de la bibliothèque aujourd’hui disparue, des inventaires de gravures, de cartons et de maquettes et quelques archives familiales.
Sur l’ensemble du fonds, on remarque une extrême rigueur apportée à l’organisation de la documentation générée par l’atelier : numérotation de chantiers, nombreux répertoires et inventaires, système de renvoi des numéros de chantiers sur les maquettes, les croquis de mesures et les carnets du chef d’atelier. Cette structure de rangement, imputable à Nicolas Lorin et à son contremaitre Onésime Bourgeois, a été perpétuée dans les grandes lignes par leurs successeurs.
Le fonds Lorin forme une documentation inestimable pour les chercheurs ayant des approches tant artistiques, historiques, techniques que sociologiques mais aussi pour les verriers chargés de la restauration de verrières réalisées par le passé par l’atelier ou la reconstitution d’oeuvres détruites. Il constitue le complément indissociable des œuvres conservées in situ, dans les édifices.
Les archives Lorin sont consultables aux Archives municipales de Chartres sous les cotes 14 II 1 à 14 II 5162.
Valérie Mauret-Cribellier, chercheur au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire