Un inventaire du patrimoine religieux (architecture et mobilier) du Pays Loire Touraine (55 communes du nord-est de l’Indre-et-Loire) vient de s’achever1. Il a permis de mieux connaitre les objets présents dans les églises et a notamment révélé le rôle joué par les prêtres dans l’ameublement des églises aux XIXe et XXe siècles. Après la Révolution, le Concordat (1801-1905) réaffirme le rôle du conseil de fabrique, groupement de laïcs chargés de la gestion des biens et revenus de la paroisse, dans l’entretien et le renouvellement des objets mobiliers. Cependant, le curé, qui en est membre de droit, y joue un rôle prépondérant : il propose l’acquisition d’objets dont l’église manque, il écrit des courriers pour obtenir des aides financières extérieures ou l’envoi d’objets par l’État, il organise des quêtes voire des tombolas pour financer ces acquisitions… Mais certains prêtres participent également à l’ameublement à titre personnel et cette pratique se poursuit au XXe siècle.
À Nouzilly, un autel en pierre, édifié entre 1860 et 1874 dans la chapelle sud en remplacement d’un autel en bois plus ancien, possède une représentation de Joseph Coqueray, curé de la paroisse à partir de 1856, sculpté dans la pierre. La scène au centre du retable de cet autel est un véritable portrait de la famille Coqueray. À droite, une femme agenouillée et en pleurs se cache le visage de sa main gauche et désigne un canon de sa main droite. Derrière elle est placé un homme, portant des favoris, la tête légèrement inclinée et les mains jointes. Il s’agit d’Antoine Coqueray et Adèle Anroux, dont on retrouve les statues des saints patrons dans les niches latérales. Au centre, le fils du couple vraisemblablement mort au combat (Guerre de 1870-1871?) est représenté sous les traits d’un jeune homme en habit militaire, agenouillé, les mains jointes et le regard tourné vers le ciel où apparaît dans les nuées un saint évêque pointant du doigt le symbole trinitaire au-dessus de lui. À gauche, on peut voir Joseph Coqueray, curé de la paroisse et frère d’Antoine, vêtu d’une soutane et d’un manteau, tenant un livre dans sa main droite et la main gauche pointant le ciel, et devant lui, une femme âgée agenouillée en prière, sans doute Marie Girault, sa mère et domestique.
Mais cet exemple est rare et généralement, ce sont des pièces d’orfèvrerie, des linges et des ornements liturgiques appartenant aux desservants qui sont laissés (donnés ou vendus à prix modérés) aux paroisses, parfois à l’occasion de leur départ ou de leur décès. En octobre 1815, le curé de Chançay expose au conseil de fabrique que depuis qu’il dessert cette paroisse il « s’est presque toujours servi d’ornement à lui appartenant, attendu la pénurie où s’est trouvé jusqu’à ce moment la fabrique dont les faibles ressources ne lui ont pas permis d’acquérir les ornemens indispensables pour la célébration du service divin ; que dans toutes les paroisses la fabrique doit fournir tout ce qui est nécessaire ; mais que, pour éviter une plus grande dépense, et pour entrer dans les vues d’économie qui doivent diriger toute bonne administration, il offre de céder à la fabrique, à un prix inférieur à leur valeur intrinsèque, les ornemens, linges, et vases sacrés qui lui appartiennent2 ». Le conseil de fabrique s’empresse d’accepter cette offre.
Pour les pièces d’orfèvrerie, il peut s’agir pour le prêtre de rendre un cadeau qui lui a été fait. L’église Saint-Denis d’Amboise conserve un ensemble d’objets servant à dire la messe, appelé chapelle, composé d’un calice, d’une patène, de deux burettes et leur plateau et d’un dernier objet à base circulaire (clochette d’autel ou boîte à hosties) aujourd’hui manquant. Cet ensemble est rangé dans un étui qui porte les initiales « A.W. » surmontées d’un chapeau d’évêque à douze houppes appartenant à Alfred Williez. Né à Chinon en 1836, il est ordonné prêtre en 1860, professeur de rhétorique, puis de philosophie, et curé d’Yzeures en 1872. Il est ensuite archiprêtre de Saint-Denis d’Amboise de 1878 à 1886, époque où il devient vicaire général. En 1892, le pape Léon XIII le choisit comme nouvel évêque d’Arras, fonction qu’il occupe jusqu’à sa mort en janvier 1911. Une inscription gravée sous le calice, fabriqué par Chevron frères à Paris, indique que cet ensemble a été offert à l’occasion de son accession au siège épiscopal en 1892. Selon sa volonté, après son décès l’ensemble fut remis au curé de Saint‑Denis d’Amboise, le 14 mars 1911, afin qu’il soit utilisé dans la paroisse dont il fut le pasteur. L’église possède également son portrait en habit d’évêque, avec soutane violette et croix pectorale, datant de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle et signé « Ath. Cappelle ».
L’église de Négron possède un ensemble calice et patène, fabriqué par un orfèvre parisien (non identifié), dont le calice porte l’inscription : « Offert à l’église de Négron par M. l’abbé Lot le 14 février 1895 ». L’abbé Pierre Lot, né en 1832, ordonné prêtre en 1858, vicaire de Beaumont-la-Ronce (1858) devient curé de Négron en 1863. Il décède d’une longue maladie le 26 février 1895, soit deux jours après le don de son calice et de sa patène. Une photographie de ce prêtre est également présente dans l’église.
Denis Cochet, ordonné en 1872 et curé-doyen de Vouvray de 1890 à 1919, décède le 17 octobre 1926. Il laisse par testament à son ancienne paroisse « un beau calice, don de ses paroissiens de Vouvray, à l’occasion de ses noces d’argent [25 ans de prêtrise], puis quatre ornements, dont deux blancs, un vert et un rouge et bon nombre de linges sacrés3 ».
L’église de Villedômer conserve quant à elle deux burettes et leur plateau sous lequel figure l’inscription « T.N. 10 juin 1876-10 juin 1926 » indiquant que l’ensemble a été offert à Théophile Noury (1852-1930), curé de Villedômer entre 1918 et 1927 à l’occasion de son jubilé sacerdotal (50 ans de prêtrise) célébré par la paroisse le 20 juin 1926. Tous ces exemples témoignent donc d’une pratique courante.
Jean-Henri Blaive, curé de Limeray de 1872 à 1898, constitue un cas particulier puisqu’il accumule des dizaines d’objets mobiliers religieux : un chapiteau, deux Christ en croix, un crucifix, des statues et des tableaux rejoignent ainsi l’église dont il a la charge. Une partie de ces objets ont disparu mais ceux existant encore aujourd’hui sont pour la plupart protégés au titre des Monuments historiques. Dans une note manuscrite de 1893, l’abbé Blaive indique que ces objets proviennent de Limeray (église, cimetière détruit en 1874, abbaye de Moncé, manoir d’Avizé), d’Autrèche (abbaye de Fontaine-les-Blanches), de Fleuray (église détruite en 1889), d’Amboise (église du château détruite) et de Pocé. Originaire de Loches, il fut dans sa jeunesse l’élève du verrier Julien‑Léopold Lobin (1814- 1864), l’ami de Lucien‑Léopold Lobin (1837-1892) puis le parrain de Lucien‑Jean Lobin (1867-1905). Cette famille lui offrit un calice fabriqué entre 1872 et 1885 par Marie Thierry, orfèvre à Paris, aujourd’hui dans l’église de Cangey4.
Henri-Prosper Guillot, né à Amboise en 1810, est vicaire à Sainte-Maure et à Château-Renault avant d’être nommé curé de Bossée (1838), puis de Morand (1842), d’Azay-sur-Cher (1850) et de Notre-Dame-du-Bout-des-Ponts d’Amboise (1887) où il décède en 1891. Entre 1856 et 1881, l’abbé Guillot réalise un important ensemble mobilier dans l’église d’Azay comprenant : les plaques sculptées qui revêtent la voûte du chœur, la chaire à prêcher, les fonts baptismaux, l’autel majeur et les deux autels placés dans les chapelles latérales, le confessionnal, toutes les stations du chemin de croix, une statue de saint Jean Baptiste et une statue de saint Vincent, tous réalisés en matériau calcaire tendre. Un confessionnal, un banc d’œuvre et un chandelier pascal en bois complètent l’ensemble. Son portrait réalisé par Gaston de Lauverjat est conservé dans la sacristie. Si les œuvres produites à Azay étaient connues5, l’étude actuelle a révélé une œuvre de jeunesse de ce sculpteur autodidacte. En 1843, la municipalité de Morand fait fabriquer une chaire à prêcher dont le montant, s’élevant à 300 francs, est payé grâce à un secours de 200 francs octroyés par le Préfet et 100 francs payés par le curé. Cette chaire est réalisée en chêne par Sylvain-Eugène Guillot, menuisier à Amboise, mais elle est ornée de sculptures et rosaces taillées par Henri-Prosper Guillot, curé de la paroisse et frère du menuisier, qui est également l’auteur d’un banc de fabrique et d’un confessionnal (disparus).
Un siècle plus tard, un autre prêtre artiste autodidacte décide de meubler, plus modestement, l’église dont il a la charge : l’abbé André Blanchais. Né à Derval (Loire-Atlantique) en 1927, il est curé de Chargé entre 1963 et 1982, où il procède à des aménagements en supprimant notamment plusieurs statues (saint Antoine de Padoue, Jeanne d’Arc), un tableau et la chaire à prêcher. Cependant, il ne se contente pas de supprimer du mobilier, il participe également à son renouvellement en fabriquant lui-même plusieurs objets en bois et fer forgé : un autel, des bancs, une croix, une croix d’autel, un pupitre et même un orgue électronique.
Aux XIXe et XXe siècles, le rôle joué par les curés dans l’ameublement des églises dont ils ont la charge s’exprime donc dans le cadre de leurs fonctions, en lien avec la fabrique puis le conseil paroissial, mais peut parfois relever de choix personnels. L’étude qui s’achève a permis de le mettre en lumière.
Arnaud PAUCTON, chargé d’études inventaire du Patrimoine au Pays Loire Touraine et chercheur associé au service Patrimoine et Inventaire de la Région Centre-Val de Loire
Pour en savoir plus, consultez l’étude sur le patrimoine religieux du Pays d’art et d’histoire Loire Touraine.
1Environ 6 500 objets répartis dans 60 églises ont ainsi été recensés et étudiés. Un livre intitulé « L’Art dans les églises. Le mobilier religieux en Pays Loire Touraine » sort en librairie le 8 novembre 2024. Environ 600 dossiers seront mis en ligne fin 2024 / début 2025.
2Archives départementales d’Indre-et-Loire. 2 O 52 42.
3Archives diocésaines de Tours. P 297-5. Registre des délibérations de la fabrique.
4Un prêtre a dû le déplacer de l’église de Limeray à celle de Cangey. Il s’agit peut-être de Coulon, son successeur à Limeray à partir de 1898 également desservant de Cangey à partir de 1913.
5DUCHEMIN, Pierre. Le décor néo-gothique intérieur de l’église d’Azay-sur-Cher. Bulletin de la société archéologique de Touraine, Tome XLV, 1998, p. 617-626. LAINÉ, Martine (réd.), CANTALUPO, Thierry (phot.), LAUGINIE, François (phot.). « Bléré en vallée du Cher, Chenonceau et ses environs ». Lyon : Lieux Dits, 2017 (Images du patrimoine n°300).