Les bondes d’étang à pilon, « petit patrimoine » identitaire de la Brenne

Publiée le 5 août 2024

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Vue d’un étang brennou et de sa bonde depuis sa digue (Rosnay, Indre) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Vanessa Lamorlette

En Centre-Val de Loire, la Brenne est réputée pour ses nombreux étangs : pour l’originalité de leur patrimoine culturel (matériel et immatériel) mais aussi pour la biodiversité et les paysages qui leur sont associés. L’élément qui les caractérise peut-être le mieux est leur bonde au point de figurer, depuis 1989, sur le logo du Parc naturel régional. L’opération thématique récemment coordonnée par le service Patrimoine et Inventaire sur le patrimoine stagnustre de la Grande Brenne (et publiée en 2023) a été l’occasion de s’intéresser à cette partie constituante et essentielle des étangs.

Des retenues d’eau vidangeables grâce à leur bonde

L’étang brennou type est une retenue d’eau destinée à l’élevage du poisson. Il est pêché, selon une pratique piscicole multiséculaire, par vidange complète. Décrite depuis la fin du Moyen Age, la bonde à pilon (1), enchâssée dans la digue, est la vanne de l’étang qui assure, à volonté, l’évacuation de la nappe d’eau.

Au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, sa pose avait des significations juridiques et symboliques fortes puisque le seigneur, quand il accordait à un particulier le droit de créer un étang, autorisait plus exactement celui-ci à entraver l’écoulement naturel de l’eau en édifiant une bonde, sorte de verrou de la nappe d’eau stagnante constituée. Aussi l’acte de « mettre bois debout », selon l’expression médiévale, scellait-il l’accord passé entre les parties.

Pendant des siècles, la bonde à pilon, et son « chapeau » si caractéristique, a fait partie du paysage berrichon. Au milieu du 19e siècle, Maurice Sand en a dessinées plusieurs pour illustrer les contes et « légendes rustiques » (de sa mère George) mettant en scène les superstitions liées à l’eau, si présente en Brenne, ce pays de sorciers…

Dessin (Époque moderne) de l’étang du Sablon figurant sa bonde. Extrait d’un plan du domaine de la commanderie du Blizon à Saint-Michel-en-Brenne (Archives départementales de l’Indre) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo. Cliquer pour agrandir.
Dessin par Maurice Sand de « meneux de nuées » (sorciers) et d’un cavalier à côté d’une bonde d’étang à pilon. Revue L’Illustration, 1852. (Archives départementales de l’Indre) © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général, Thierry Cantalupo. Cliquer pour agrandir.
Des bondes en bois et uniquement en bois

Jusque dans les années 1910-1920, ces bondes d’étang à pilon, sauf exceptions, étaient faites en bois, en cœur de chêne intégral. Ce modèle ancestral se compose de deux parties polyxyles2 : une horizontale, la conduite d’eau, et une verticale appelée le portique ou « devant » de bonde.

La conduite d’eau (canal, échinal ou conche en Brenne ; coursier en Sologne) traverse, dans sa largeur, la base de la digue. C’est la canalisation en bois évidé par laquelle l’eau est évacuée. La face supérieure de son extrémité (aval) est munie d’un trou circulaire, appelé œil de la bonde, dans lequel vient se loger la massue du pilon. Ce dernier est maintenu verticalement au centre du portique de la bonde et s’insère dans le chapeau d’où l’exploitant peut l’actionner depuis le sommet de la digue. En montant le manche, la massue est soulevée et n’obstrue plus l’œil de la bonde. L’eau pouvant s’écouler dans la conduite d’eau, l’étang se vide.

A partir du milieu du 20e siècle, les authentiques bondes à pilon intégrales se sont raréfiées du fait de leur remplacement progressif (complet ou partiel) par des dispositifs en matériaux modernes (ciment, PVC, métal) qui pour certains intègrent de nouveaux systèmes de vidange (bondes-déversoirs). Le savoir-faire de leur confection est peu à peu tombé en désuétude. On ne fabrique plus, de nos jours, de conduites d’eau en bois pour des raisons tant techniques, qu’économiques.

Mais le ciment, un temps plébiscité pour la fabrication des bondes, cède, au 21e siècle, de plus en plus sa place au bois. C’est un revival tout relatif pour le matériau qui, le plus souvent, n’habille que les parties les plus visibles des bondes en leur donnant un aspect traditionnel (et attendu) du territoire de la Brenne.

Un matériel archéologique datant

Outre leur intérêt typologique, les bondes sont des témoins archéologiques de l’histoire des étangs qu’elles équipent. Leurs anciennes conduites d’eau peuvent en effet être datées par dendrochronologie.

Cette méthode de datation se fonde sur l’examen microscopique de la succession des cernes de croissance des arbres. Les variations de taille observées permettent, à partir d’un référentiel de séquences mises bout à bout, de retrouver l’année précise d’abattage de l’arbre dont est issu le bois analysé. Déjà mise en œuvre dans l’étude des charpentes du patrimoine bâti, la méthode a été expérimentée à partir de 2003 sur près d’une vingtaine d’étangs historiques à la faveur de travaux de rénovation engagés sur leurs digues.

A l’abri de l’air, le bois de chêne est presque imputrescible. Autrefois, seules les parties aériennes de la bonde étaient régulièrement changées (environ tous les siècles à demi-siècles). Jusqu’à l’arrivée des pelles mécaniques, au 20e siècle, les conduites d’eau en bois, enfouies au plus profond des digues étaient rarement remplacées. Certaines sont donc potentiellement très anciennes ; peut-être même datent-elles parfois de la construction des étangs qu’elle équipent.

Dessin de la conduite d’eau polyxyle de l’étang Renaud datée de 1471 par dendrochronologie (Laboratoire CEDRE) en coupe transversales (a), de profil extérieur (b) et vue du dessus (c) (Rosnay, Indre) © Renaud Benarrous, Benoît Huyghe. Cliquer pour agrandir.

Les analyses réalisées à l’issue de cette campagne de prélèvements sur bondes (la plus importante jamais réalisée en France à ce jour) ont livré des résultats des plus significatifs. Les datations obtenues par dendrochronologie s’étendent de 1407 à 1940 ; les trois-quarts sont antérieurs au 17e siècle et un quart de cet ensemble est médiéval. Ces données, parfois étonnantes, comblent de vraies lacunes documentaires car elles portent souvent des étangs qui ne sont pas ou peu mentionnés dans les sources textuelles anciennes. Elles complètent ainsi significativement nos connaissances sur la dynamique d’espace stagnustre brennou, tout particulièrement à la fin du Moyen Age et au 16e siècle.

Il est à craindre, au rythme des inéluctables mais nécessaires rénovations de bondes d’étang, que, d’ici le milieu du siècle, ce « petit patrimoine » identitaire brennou, également témoin archéologique de l’histoire multiséculaire de la pisciculture, aura presque complètement disparu.

Renaud Benarrous, chercheur associé du Service Patrimoine et inventaire, chargé de mission de l’inventaire de l’architecture rurale du Parc naturel régional de la Brenne.

Pour en savoir plus sur les étangs de la Brenne et les parties constituantes telles les bondes, vous êtes invité à consulter l’ouvrage « L’eau retenue. Les étangs de la Grande Brenne ».

Vous pouvez également consulter les dossiers d’inventaire portant ce patrimoine stagnustre : https://patrimoine.centre-valdeloire.fr/gertrude-diffusion/dossier/IA36011180

1 Dans le vocabulaire de l’Inventaire général, la bonde à pilon est appelée plus exactement vanne à/ou déversoir de fond, parce que l’eau de la retenue est évacuée par le fond de l’étang.
2 composés de plusieurs morceaux de bois assemblés (comme par exemple les charpentes de maison).

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